Politique
Le calme avant la tempête ? A moins de 15 jours d’un scrutin électoral crucial pour l’avenir politique de la République Démocratique du Congo (RDC), une courte campagne électorale mobilise majorité et opposition aux quatre coins du pays, où les trois principaux candidats tentent de mobiliser. A en juger par leur capacité de mobilisation respective, sur les 21 prétendants, seuls trois ont une assise politique: le « dauphin » de la majorité parrainé par le président Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, et les principaux candidats de l'opposition divisée, Félix Tshisekedi et Martin Fayulu.
L’issu du scrutin et une victoire du « dauphin » de Joseph Kabila semble faire peu de doute. L’un des slogans du candidat du pouvoir, « on gagne et on gagne » traduit assez bien l’état d’esprit qui règne au sein du Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme mise en place par Joseph Kabila, qui a renoncé à briguer un troisième mandat après avoir reporté par deux fois l’élection présidentielle mais qui n'a pas exclu de se représenter en 2023.
Shadary en terre d’opposition
La campagne électorale du parti présidentiel a démarré à Kinshasa, puis dans l’ex-Katanga, avant de gagner les Kasaï et l’Ouest du pays… des provinces où l’opposition et ses leaders sont encore bien implantés. Si les meetings et les stades sont pleins, l’accueil de la population y est plutôt timoré. Plusieurs fois, le convoi de l’ancien ministre de l’Intérieur ou sa caravane de campagne ont été conspués ou caillassés.
Il faut dire que l’exercice n’est pas facile pour celui qui a été désigné par le chef de l’Etat pour lui succéder. Entre les promesses d’un avenir meilleur et les louanges du bilan de joseph Kabila, la marge de manœuvre est étroite pour ce sécurocrate, plus habitué à l’ombre qu’à la lumière.
Les « 5 chantiers » bis...
Son projet politique ressemble étrangement à celui des « 5 chantiers » vantés par le président Kabila depuis 2006. Le candidat Shadary promet un budget multiplié par 3, davantage de sécurité, moins de corruption et allant même jusqu’à annoncer l’école gratuite dans l’ex-Katanga, alors que la situation ne s’est guère arrangée pendant les 17 ans de pouvoir de Joseph Kabila. Difficile donc de s’inscrire dans la continuité de l’action de l’actuel chef de l’Etat, tout en reconnaissant, en creux, que tout reste à faire.
Des promesses…
Le budget de l’Etat « lilliputien » de 6 milliards de dollars paraît bien maigre pour un pays de 80 millions d’habitants, grand comme 5 fois la France. Et on voit pas comment le porter à 86 milliards, comme l’annonce Shadary. La sécurité des Congolais n’est toujours pas assuré dans l’Est du pays, où pullule toujours une centaine de groupes armés et où la région de Beni vit dans la terreur des attaques à la machette depuis plus de 4 ans. Les Kasaï sont également enfermés dans une spirale de la violence, ayant fait au bas mot 3.000 morts selon l’Eglise catholique.
… encore des promesses
Difficile également de mettre en place un énième plan anti-corruption, alors que l’actuel chef de l’Etat et ses proches se retrouvent à la tête de plus 80 sociétés et où 750 millions de dollars se sont évaporés des caisses de la Gécamines selon plusieurs ONG. Difficile de défendre un bilan lorsque l’éducation, la santé, l’eau potable, l’électricité… ne sont accessibles qu’à une minorité de Congolais. En Equateur, sur les terres de l’opposant Jean-Pierre Bemba, dont la candidature a été jugée irrecevable, Emmanuel Ramazani Shadary, s’est fait interpellé par des habitants en colère face à la dégradation des routes. Pour toute réponse, Shadary a promis de faire de la RDC un pays émergent.
Carton plein pour l’opposition
Pour toutes ces raisons, les candidats de l’opposition ont plutôt la campagne électorale facile. Et sur le terrain, Martin Fayulu, candidat soutenu par la coalition Lamuka, et le ticket formé par Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, n’ont pas de mal à réunir les déçus des années Kabila. Les deux opposants, qui n’ont pas réussi à s’entendre pour former une candidature commune à la présidentielle, ont décidé de jeter leur dévolue sur l’Est du pays, un important réservoir de voix sur la carte électorale. Et les Congolais sont au rendez-vous. Félix Tshisekedi a impressionné à Bukavu, la ville de son « ticket », Vital Kamerhe, alors que Martin Fayulu a soulevé les foules à Goma, Bunia et Kisangani.
Fayulu prend ses marques
La surprise de cette première partie de campagne vient sans nul doute de la mobilisation populaire qui s’est cristallisée autour de Martin Fayulu. « Second couteau » de l’opposition, à l’ombre des Tshisekedi, Bemba ou Katumbi, le président de l’Ecidé, peu connu des Congolais, en dehors de Kinshasa, a réussi son entrée en campagne. Une « réussite » qui passe mal pour le pouvoir, selon les proches de Fayulu.
Son avion s’est vu interdire d’atterrir à Kinshasa, et ce dimanche à Kindu, des appareils de l’armée congolaise ont occupé les pistes de l’aéroport, empêchant l’arrivée du candidat. Pour le camp Fayulu, « le pouvoir a choisi son opposant ». Pique à peine voilée contre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, qui mènent, pour l’instant, une campagne sans entrave.
Kabila deja des signes d'un come-back ?
Mais ce week-end, un invité surprise a débarqué à l’improviste en pleine campagne électorale. Le président Joseph Kabila est sorti de son silence pour s’adresser à la presse anglo-saxonne. Il s’est confié à l’agence de presse Reuters pour affirmer que s’il avait renoncé à se représenter pour rester au pouvoir, il n’avait pas renoncé à la politique. Fini le portrait du gentleman farmer Kabila, reclus dans sa propriété de Kingakati, le président Congolais entend continuer à exister dans le paysage politique et n’exclut pas d’être de nouveau candidat à la présidentielle… en 2023 !
Pas sûr que cette sortie n’apaise les tensions à la veille du scrutin et n’aide son poulain, Emmanuel Ramazani Shadary, qui essaie tant bien que mal de faire de sa campagne « du Kabila sans Kabila ». Avec cette déclaration du chef de l’Etat, « On est loin de la transition démocratique pour laquelle de nombreux Congolais ont risqué leur vie » ironise la responsable de Human Rights Watch (HRW) pour l’Afrique centrale, Ida Sawyer.
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