Politique
Alors que l'élection présidentielle prévue théoriquement le 23 décembre prochain se profile à l'horizon, Joseph Kabila échafaude plusieurs stratégies pour tenter de garder la main sur le destin du pays.
Il y réfléchit beaucoup et depuis longtemps, selon ses proches. Mais faute de solution réellement satisfaisante, Joseph Kabila n'a pas encore arrêté son choix. Celui de son dauphin pour la prochaine élection présidentielle à laquelle il ne peut juridiquement se présenter pour avoir déjà accompli deux mandats. « Il s'agit de trouver le mouton à cinq pattes », s'amuse l'un des membres de son cabinet. Dans l'esprit de Joseph Kabila, ce dauphin devrait dans l'idéal être tout à la fois populaire (pour attirer a minima l'électorat), mais pas trop (pour ne pas lui faire de l'ombre), être suffisamment loyal (pour lui céder le pouvoir le coup d'après ou, à tout le moins, éviter un scénario à l'angolaise) et, si possible, complaire à la communauté internationale (vis-à-vis de laquelle le président congolais accuse un lourd passif).
Pas facile pour Joseph Kabila de choisir un dauphin pour la présidentielle
Du coup, le président (hors mandat) RD congolais s'applique, depuis quelques mois, à faire son casting. Et les candidats de défiler, un par un, dans son esprit. Il y a eu tout d'abord la famille, notamment Olive Lembe et Jaynet Kabila, respectivement épouse et sœur jumelle du chef de l'État ; puis d'anciens proches collaborateurs, à l'instar d'Augustin Matata Ponyo qui commence à rappeler ses anciens membres de cabinet à la primature, croyant dur comme fer qu'il sera l'heureux élu de la kabilie ; une kabilie qui fait exceptionnel pour un événement ne mettant pas directement en valeur Joseph Kabila s'est déplacée en masse, avec à sa tête Jaynet Kabila et plusieurs hauts responsables du PPRD, pour l'inauguration en octobre 2017 à Kindu d'une université portant le nom de l'ex-Premier ministre, ou d'Aubin Minaku, l'actuel président de l'Assemblée nationale, dont les équipes viennent de rouvrir un compte Twitter (initialement ouvert en 2016) au nom évocateur, @AubinMinaku2018, et à la présentation explicite : « Nous avons la conviction qu'Aubin Minaku peut mieux représenter la majorité présidentielle pour lui garantir une victoire certaine »).
Récemment, le 19 mars dernier, Joseph Kabila a convié au Palais de la nation Antoine Gizenga, 92 ans, grabataire, mais toujours président du Palu, un parti-pilier de la majorité présidentielle qui – à l'initiative d'Adolphe Muzito, l'ex-Premier ministre, et du propre fils d'Antoine Gizenga, Lugi, ex-secrétaire général limogé à la suite de cet épisode – a tenté de négocier une alliance avec des partis de l'opposition (l'UDPS, le MLC, l'UNC) en vue de constituer une plateforme commune pour les prochaines élections. Une initiative qui a choqué jusque dans les rangs de la majorité. « Il a fait se déplacer M. Gizenga, un aîné de 92 ans et plus dont on sait tous qu'il n'est pas en bonne santé. Dans notre culture bantoue, cela ne se fait pas. Tout président qu'il est, c'était à Joseph Kabila de se déplacer », déplore un député national membre du Palu.
Mais la transgression pour le président congolais valait la peine. Il lui fallait à tout prix couper court à cette tentative qui aurait été désastreuse sur un plan symbolique, mais aussi pratique pour la majorité présidentielle (le Palu est le second pourvoyeur de parlementaires au sein de la « MP » après le PPRD). Peu importe donc les traditions et les conventions, Joseph Kabila a fait venir à la présidence le patriarche Gizenga, lui promettant au passage de recruter son dauphin dans les rangs du Palu.
Mais pour le président, ça n'est, en l'espèce, que faire preuve d'opportunisme. Car cela fait un moment qu'il y songe fortement et sincèrement. Au départ, c'est à Antoine Gizenga, qu'il pense. Son idée est simple. Le président congolais s'en est même ouvert à l'un de ses pairs : faire du « vieux » Gizenga son dauphin et le porter à la présidence de la République. En parallèle, lui, Joseph Kabila deviendrait sénateur à vie (ce que prévoit la Constitution) avant de se faire élire président de la chambre haute. Pariant ensuite, non sans une bonne dose de cynisme, sur le peu de temps qu'il resterait à vivre à M. Gizenga dont l'âge est canonique, il ne lui faudrait guère attendre pour récupérer son fauteuil au Palais de la nation, le président du Sénat succédant automatiquement au président de la République « en cas de vacance pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d'empêchement définitif » de ce dernier en vertu de l'article 75 de la Constitution de 2006.
Mais un grain de sable est venu se glisser dans cette mécanique que Joseph Kabila pensait bien huilée. « Lors de la visite de Gizenga, le président s'est rendu compte combien le vieux était fatigué. Il a eu peur, du coup, que son scénario manque de crédibilité », confie un de ses proches en off. D'où l'idée d'un recours, issu des rangs du même parti. Un profil non pas idéal, mais qui, aux yeux du président Kabila, serait susceptible de faire l'affaire. Son nom : Martin Kabwelulu, inamovible ministre des Mines depuis 2006, un secteur hautement stratégique à l'origine de la fortune de la famille Kabila. « Martin Kabwelulu, qui a survécu à cinq Premiers ministres, donne pleine satisfaction à Joseph Kabila dans sa gestion du secteur des mines », ironise un responsable de l'opposition.
Le plan B, le plan A et le plan A' de Joseph Kabila pour la suite
Si se choisir un dauphin n'est pas un exercice facile, c'est encore moins un exercice agréable. En particulier pour Joseph Kabila qui n'a pas loin de là fait son deuil de rester au pouvoir en RDC. « Ce n'est qu'en désespoir de cause qu'il se résoudrait à se choisir un successeur », confirme l'un de ses anciens compagnons de route. Le choix d'un dauphin ne serait donc pour Joseph Kabila qu'un plan B.
Car il est un autre scénario, celui que rêve de mettre en œuvre le président RD congolais, même si cela et il en est conscient ne sera pas facile. Il supposerait en effet la collaboration pour ne pas dire la complicité d'une figure majeure de l'opposition qu'il installerait à la primature. Vital Kamerhe ayant définitivement brouillé son image, Martin Fayulu n'ayant pas une stature jugée suffisante par l'entourage du président, et l'option Moïse Katumbi le présidentiable le plus craint par Kabila étant totalement exclue les deux hommes sont à couteaux tirés, il n'en resterait plus qu'un : Félix Tshisekedi qui vient tout juste d'être désigné, samedi 31 mars 2018, président de l'UDPS.
Pour Joseph Kabila, le fils de feu Étienne Tshisekedi constituerait la prise de guerre idéale. Celui à qui il rêve de donner la primature. Non par souci de faire un geste de décrispation politique ou d'ouverture envers l'opposition, mais parce que contrairement à Samy Badibanga et à Bruno Tshibala, l'ancien et l'actuel Premier ministre, Félix Tshisekedi a une valeur symbolique et un poids politique suffisamment importants au sein de l'opposition RD congolaise pour lui permettre, pense-t-il, de mettre à exécution son plan A : une transition de deux ans avec lui, Joseph Kabila, à la présidence et Félix Tshisekedi comme Premier ministre. Un laps de temps jugé nécessaire pour travailler en profondeur l'opinion et tenter de desserrer l'étau de la communauté internationale afin de pouvoir introduire un projet de modification de la Constitution et briguer ainsi un nouveau mandat, à l'instar de certains de ses pairs dans la sous-région. En outre, cette option aurait le mérite d'enfoncer un coin entre les deux principales figures de l'opposition, Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi l'une des obsessions de Joseph Kabila.
Mais depuis peu, ce dernier, qui n'est ni à court d'idées ni de stratégies pour se maintenir au pouvoir, réfléchit à une autre solution. Un plan A' (A prime) en quelque sorte, dont il s'est ouvert récemment à certains de ses proches. Celui-ci consiste à découpler dans le temps les élections, législatives, nationales, provinciales, qui auraient lieu d'abord, et repousser la présidentielle qui serait organisée ensuite. Une fois le nouveau Parlement élu, il reviendrait à celui-ci de modifier la Constitution avant la date prévue pour l'élection présidentielle afin d'en changer le mode de scrutin. Celle-ci aurait désormais lieu non plus au suffrage universel direct, mais au second degré. Le nouveau président serait dès lors élu par les parlementaires au motif que, selon M. Kabila, ce mode de désignation serait moins coûteux. Ainsi, le mode d'élection changeant, les compteurs seraient remis à zéro et Joseph Kabila pourrait donc « légitimement », il en est convaincu, briguer à nouveau la présidence de la République.
Joseph Kabila compte bien également choisir ses adversaires pour la présidentielle
Mais Joseph Kabila sait pertinemment qu'il ne lui sera pas facile de s'imposer quel que soit le plan mis en œuvre. S'il veut remporter le prochain scrutin présidentiel, directement (plan A ou A') ou par procuration (plan B via son dauphin), il lui faut le préparer au mieux. « Bétonner l'élection », comme disent ses proches. Pour le jour même du vote, tout est déjà prévu. Joseph Kabila compte sur la machine à voter (rapidement rebaptisée en RDC « machine à tricher ») qui, selon une majorité d'experts internationaux, lui permettrait de manipuler plus facilement les résultats.
Mais jusqu'à un certain stade seulement, l'opération devant apparaître crédible un minimum. C'est pourquoi Joseph Kabila et son entourage mènent en parallèle une autre bataille dont le but, ni plus ni moins, revient à se choisir ses adversaires pour l'élection présidentielle en interdisant à ceux qu'ils considèrent comme les plus dangereux d'y participer. L'opération est rendue d'autant plus simple qu'il n'y a en réalité pour le président congolais qu'un seul homme à surveiller et donc à neutraliser : Moïse Katumbi. « C'est le seul que le président craint véritablement », concède un intime de Joseph Kabila. « Katumbi a pour lui la popularité, l'organisation, les réseaux, les idées et l'argent », analyse avec un brin d'envie un haut responsable du PPRD.
La kabilie se mobilise pour contrer Katumbi
Depuis quelques jours, c'est le branle-bas de combat au sein de la kabilie. Précisément depuis que Moïse Katumbi a lancé, le 12 mars dernier depuis l'Afrique du Sud, sa plateforme électorale, « Ensemble ». Joseph Kabila a en effet été surpris. Il ne pensait pas que l'opposition en général, et Moïse Katumbi en particulier s'organiseraient pour aller aux élections. Il était au contraire convaincu que les opposants continueraient seulement à faire appel à la rue via des manifestations et rejetteraient le processus électoral tel que prévu par la CENI en contravention avec l'accord de la Saint-Sylvestre. « Joseph Kabila a été déstabilisé », avoue un proche du président.
D'où la réactivation tous azimuts, ces derniers jours, de son plan anti-Katumbi. L'objectif : empêcher par tout moyen celui que le pouvoir a, de facto, contraint à l'exil de se présenter à la présidentielle. Pour y parvenir, le clan Kabila fait feu de tout bois. Il y a quelques jours, le procureur général de la République Flory Kabange Numbi a fort opportunément relancé l'affaire dites des « faux mercenaires » en demandant à la Cour suprême de se prononcer sur ce dossier, celle-ci faisant temporairement office de Cour de cassation. Pourquoi un tel privilège de juridiction la Cour Suprême en lieu et place du TGI de Lubumbashi, qui serait la juridiction compétente en l'espèce, M. Katumbi étant redevenu un « simple » citoyen congolais ? Tout simplement parce que les arrêts de la Cour suprême ne sont pas susceptibles de recours et que le camp présidentiel a besoin d'une condamnation ferme, définitive et rapide de Moïse Katumbi afin que ce dernier ne puisse déposer son dossier de candidature pour l'élection présidentielle à la CENI au plus tard en juin prochain comme l'impose la loi électorale.
Une ficelle, puis une autre encore
Mais pour se donner toutes les chances, la majorité présidentielle tire en parallèle une autre ficelle. Elle a ainsi bondi sur la publication d'un article dans Jeune Afrique, paru le 22 mars 2018, évoquant le fait que Moïse Katumbi a détenu par le passé la nationalité italienne – à laquelle il a renoncé depuis pour aussitôt dire que celui-ci n'était pas, en vertu de l'article 10 de la Constitution qui dispose que la nationalité congolaise est une et exclusive , en mesure de candidater à l'élection présidentielle. Le procureur général de la République a même été sommé de lancer une procédure pour « faux et usage de faux » et « usurpation d'identité » à l'encontre de l'opposant après qu'il a par mégarde reconnu officiellement quelques jours plus tôt la nationalité congolaise de l'intéressé dans sa requête aux fins de fixation d'audience adressée sous sa signature le 18 mars 2018 à la Cour suprême pour relancer en urgence l'affaire des « faux mercenaires ». « Une affaire qui révèle un deux poids deux mesures au sein de la justice congolaise », explique Georges Kapiamba, le président de l'ACAJ et célèbre avocat, défenseur des droits de l'homme, avant de rappeler que « Samy Badibanga avait été nommé en novembre 2016 Premier ministre alors qu'il détenait la nationalité belge. Il y avait renoncé a posteriori par courrier, ce dont avait pris acte le ministère de la Justice par un arrêté daté de décembre 2016, et avait ainsi pu se maintenir à son poste de chef du gouvernement. Il reste qu'à ce jour, après vérification auprès du fichier d'état civil en Belgique, M. Badibanga possède toujours la nationalité belge. Pour autant, le PGR n'a pas lancé une action judiciaire à son encontre », rappelle M. Kapiamba.
La nationalité, cet obstacle si soudain
« Partout en Afrique, c'est le même sort qui est réservé aux opposants par les pouvoirs en place. Soit on les condamne, soit on les exile, soit on conteste leur nationalité », peste un très haut responsable de l'Union africaine. Le 29 mars dernier sur RFI, le porte-parole de Moïse Katumbi a balayé les accusations dont fait l'objet le dernier gouverneur de l'ex-Katanga. « On ne peut avoir dirigé le Katanga, dirigé la famille politique présidentielle lors des élections de 2006 et de 2011, l'avoir amenée à des victoires électorales, et parce que quelques années après on revendique d'une manière légitime le droit de déposer sa candidature à l'élection à la présidence de la République, tout d'un coup, on est plus congolais. Il y a là manifestement une volonté de nuire », s'est indigné Olivier Kamitatu avant de protester : « Moïse Katumbi est congolais d'origine. Sa mère est de lignée royale [Yeke, arrière petit-fils du roi Msiri]. Il est bel et bien congolais. Cette situation ne souffre d'aucune contestation. Au jour d'aujourd'hui, il peut donc déposer sa candidature [à l'élection présidentielle] et faire son offre politique au peuple congolais. »
Ainsi donc, en politicien madré, Joseph Kabila a plus d'un tour dans son sac ou plus d'un plan dans sa poche. S'il n'a pas encore loin de là renoncé à participer lui-même à l'élection présidentielle, il envisage tous les cas de figure. Mais quel que soit au final le scénario retenu, le président RD congolais semble fermement décidé à choisir à cette occasion non seulement son dauphin, mais aussi et surtout son ou ses adversaires.
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