Santé
Des chercheurs américains sont parvenus à débarrasser des embryons humains d’une mutation génétique à l’origine d’une maladie héréditaire du cœur. Crispr-Cas9, la technique dite de «chirurgie du gène» ici employée, démontre son efficacité. Et relance les débats éthiques.
Ce n’est plus de la science-fiction. Un nouveau pas vient d’être franchi, outre-Atlantique, sur la voie d’un bébé débarrassé d’une maladie génétique grave. Une équipe américaine montre, chez l’embryon humain, l’efficacité et l’innocuité apparente d’une «chirurgie» ultra-précise du génome, un outil nommé Crispr-Cas9, pour corriger l’anomalie d’un gène responsable d’une affection cardiaque héréditaire.
Publiée le 2 août dans la revue Nature, cette avancée technique ne manquera pas de raviver un véhément débat éthique. Est-il justifié d’introduire artificiellement – fût-ce dans un but médical – une modification dans le génome d’un embryon humain? Une telle modification, transmise à la descendance, transformerait le patrimoine héréditaire de la lignée humaine.
Humains OGM
Transgression éthique inacceptable pour les uns, voie inexorablement ouverte pour d’autres: «Bien qu’aucun de ces embryons n’ait été autorisé à se développer plus de quelques jours – l’intention n’a jamais été, ici, de les réimplanter dans un utérus maternel –, cette étude marque une étape importante dans ce qui pourrait être une voie inéluctable vers la naissance des premiers êtres humains génétiquement modifiés», annonçait le journaliste Steve Connor, le 26 juillet, dans la revue MIT Technology Review. Prophétique, ou provocateur?
Une telle manipulation génétique n’est pas inédite. Les premiers à franchir le Rubicon ont été des Chinois. Dès 2015, ils ont publié les résultats d’une expérience sur des embryons humains visant à modifier le gène responsable d’une maladie héréditaire, la bêta-thalassémie. Mais l’outil de modification du génome utilisé, le fameux Crispr-Cas9, montrait alors trois types de défaillances.
Seul un faible taux d’embryons traités portait les modifications recherchées. Des modifications «hors cibles» étaient retrouvées. Et cette méthode donnait souvent des embryons «mosaïques», formés de populations de cellules génétiquement différentes. Autrement dit, une partie de leurs cellules n’avaient pas intégré la modification. Autant de carences confirmées dans deux autres études chinoises, en 2016 et 2017.
Maladie dominante
Dans la présente étude, les chercheurs ont levé ces obstacles, chez 42 embryons humains, un nombre inégalé jusqu’ici. Ils ont pour cela recruté un volontaire souffrant de cardiomyopathie hypertrophique, maladie provoquée par une mutation d’un gène nommé MYBPC3. Pour en être atteint, il suffit d’être porteur d’une seule version mutée de ce gène, sur les deux copies présentes dans nos cellules: la maladie est dite dominante, par opposition aux maladies récessives nécessitant les deux versions mutées pour se développer.
Avec le sperme de cet homme, les chercheurs ont fécondé, in vitro, 58 ovules (ovocytes) issus de femmes en bonne santé. Dans le même temps, ils ont injecté, dans chaque ovocyte, un «kit de réparation» sur mesure de l’ADN, ciblant la mutation du gène MYBPC3. Résultat: «la mutation pathogène a été corrigée chez 72,4% des embryons humains traités», soit 42 des 58 embryons, résume Paula Amato, de l’Université de l’Oregon, qui fait partie des quatre coordinateurs de ces travaux. Les chercheurs ont laissé ces embryons se développer in vitro cinq à sept jours après la fécondation, jusqu’au stade de blastocyste, soit environ 70 à 100 cellules.
Ce kit de réparation du génome est le même outil que celui utilisé par les Chinois: Crispr-Cas9. Mais ici, «l’astuce a consisté à injecter au même moment les spermatozoïdes et ce kit de modification du génome. Et ce, à un stade précis de la division de l’ovocyte. Ce qui accroît le taux d’embryons réparés», explique Alain Fischer, de l’Hôpital Necker à Paris, professeur au Collège de France, un des pionniers de la thérapie génique chez l’homme.
La réparation s’opère en trois étapes. D’abord, Crispr-Cas9 reconnaît sa cible, le gène muté. Ensuite, un «ciseau à ADN» (Cas9) coupe l’ADN autour de cette cible. Encore faut-il, troisième étape, que les cellules de l’embryon reconstruisent ensuite un gène normal. Pour cela, les chercheurs ont ajouté, dans leur cocktail, une matrice mimant la séquence d’ADN non mutée de ce gène: elle allait servir de modèle, espéraient-ils.
Eh bien non! A la surprise générale, les cellules ont dédaigné cette matrice extérieure. Pour reconstruire ce gène, elles lui ont «préféré» un modèle interne: la copie normale du gène, issue de l’ovocyte. Un mécanisme singulier, propre aux cellules embryonnaires humaines. «Si ce mécanisme est confirmé, cette technique sera moins efficace pour corriger des gènes responsables de maladies récessives, dans lesquelles les deux copies du gène sont mutées, anticipe Alain Fischer. Elles pourront alors plus difficilement servir de modèle.»
Fait remarquable, l’équipe américaine n’a pas retrouvé les effets indésirables montrés par les Chinois. «Après avoir séquencé tout le génome des embryons, nous n’avons trouvé aucune mutation hors cible», se réjouit Paula Amato. De plus, le taux d’embryons «mosaïques» est resté très faible (1 sur 42).
Bénéfice modeste
Selon elle, «cette technique pourrait être utilisée pour prévenir la transmission de maladies génétiques aux générations suivantes, quand le diagnostic préimplantatoire n’est pas possible». Ce diagnostic est mis en œuvre quand un des deux parents ou les deux parents sont porteurs d’une mutation responsable d’une maladie grave, susceptible de se transmettre à la descendance. Une fécondation in vitro (FIV) est alors réalisée avec les cellules sexuelles du père et de la mère, suivie d’un diagnostic génétique des embryons. Seuls ceux qui apparaissent indemnes de la mutation sont ensuite réimplantés dans l’utérus. «Cette méthode pourrait aussi permettre d’augmenter le taux d’embryons indemnes, quand le diagnostic préimplantatoire est possible.»
Mais pour Alain Fischer, «cette approche ne me semble pas justifiée dans ce cas. Avec la FIV, on obtient déjà 50% d’embryons sains, réimplantables. Ici, le taux passe à 72%. C’est un bénéfice très modeste.»
Dans aucun pays du monde, la modification du patrimoine génétique humain n’est autorisée, rappelle-t-il. Sous l’assaut répété des progrès techniques, cette digue finira-t-elle par céder? «Il faut tenir bon sur ce principe éthique», assure Alain Fischer. Mais un glissement s’opère. En témoigne ce troublant rapport de l’Académie américaine des sciences, publié en février 2017. Qualifié de «politiquement explosif» par la revue MIT Technology Review, il recommande d’autoriser, à l’avenir, des modifications génétiques dans des cellules sexuelles humaines, dans certaines circonstances, «pour prévenir la naissance d’enfants atteints de maladies graves».
De fait, «cette étude ouvre la voie à des travaux qui pourraient conduire à une future utilisation clinique de Crispr-Cas9», estiment aussi, de leur côté, Nerges Winblad et Fredrik Lanner, de l’Institut Karolinska à Stockholm, dans un éditorial de Nature. Ils précisent cependant: «Avant d’utiliser cette approche pour traiter des maladies héritées, il faudra confirmer son innocuité […]. Le diagnostic préimplantatoire des embryons après FIV reste la méthode standard pour prévenir la transmission de maladies héréditaires chez des embryons humains.»
Cette étude, n’en doutons pas, sera pour les chercheurs une incitation à aller de l’avant. Au risque de diviser toujours plus la communauté des scientifiques et des spécialistes en éthique médicale. Et, au-delà, la société tout entière.
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