Culture
Dans un livre très documenté, « Mobutu », paru aux éditions Perrin, le journaliste français Jean-Pierre Langellier dénonce à la fois la traitrise et la cruauté de l’ancien président de l’ex-Zaïre, Mobutu Sese Seko, notamment à travers l’assassinat de Patrice Lumumba, la condamnation et la pendaison des « quatre conjurés de la pentecôte ». Robert Kongo, notre correspondant en France, l’a interrogé à propos de ces événements marquants de l’histoire de la RDC.
Vous venez d’écrire un livre biographique sur Mobutu qui porte son nom. Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?
Ce livre m’a été commandé par les éditions Perrin qui attachent beaucoup d’importance à leur collection qui s’appelle « Biographies ». Il m'a étécommandé pour diverses raisons. D’abord parce que j’ai travaillé une dizaine d’années sur l’Afrique à l’époque de Mobutu, puis j’avais déjà écrit un ou deux livres publiés chez le même éditeur. C’est vrai qu’il n’y avait aucun livre de référence sur la biographie complète de Mobutu en français. C’est donc une proposition que j’avais accepté avec plaisir.
Avez-vous eu l’occasion de rencontrer Mobutu?
Je l’ai rencontré deux ou trois fois. C’était à la fin des années 70 et le début des années 80. A l’époque, j’étais correspondant du journal Le Monde en Afrique. J’étais basé au Kenya.
Mobutu a été décrit par certains comme un traitre et un cruel. Qu’en pensez-vous ?
Mobutu était un personnage très complexe. C’est ça l’intérêt d’écrire une biographie sur lui. Il était à la fois un homme très intelligent et un grand stratège politique. Il avait beaucoup de flair. Mais c’était aussi un homme très cynique. Tout le contraire d’un démocrate au sens moderne du terme. S’il n’était probablement pas un personnage qui ne pensait qu’à tuer ses amis ou ses ennemis, néanmoins, il a à plusieurs reprises consolidé son pouvoir par le sang, lorsque cela était nécessaire, notamment, selon lui, au moment de sa rivalité avec Lumumba pour des raisons hautement politiques.
Lumumba ne s’est-il pas trompé de collaborateur en le nommant Colonel ?
Non, je ne crois pas. Les deux hommes étaient amis depuis 1957. D’ailleurs, c’est une affaire qui est souvent passée sous silence parce que personne n’a intérêt à la ressortir. « Les révolutionnaires », les pro-lumumbistes n’ont pas envie de souligner le fait que Lumumba s’était peut-être trompé d’ami. Et puis, les mobutistes, ceux qui étaient proches de lui à l’époque, n’ont aucun intérêt à ressasser la trahison de Lumumba par Mobutu.
Mobutu a-t-il donc trahi son ami Lumumba ?
C’est à mes yeux une vérité indéniable dans la mesure où Mobutu aurait pusauver Lumumba. Le sort de ce dernier était entre les mains de son ami. Si Mobutu, en sa qualité de chef de l’armée congolaise, ne l’avait pas fait, c’est parce qu’il n’en avait pas envie. A l’époque, personne ne voulait plus de Lumumba, à part les pays du bloc soviétique, les nationalistes africains et le parlement de Kinshasa, dont la majorité lui était acquise. D’ailleurs, dès mars 1960, les Belges imaginent déjà un Congo sans Lumumba. Ils connaissaient l’ardeur nationaliste de l’homme, son charisme. A leurs yeux, l’homme était très dangereux, il fallait l’abattre pour préserver les intérêts économiques et financiers de la Belgique au Congo. Les Belges ont joué un rôle crucial dans son assassinat.
Le 14 septembre 1960, la CIA avait poussé Mobutu à chasser les deux têtes de l’exécutif congolais, Kasa-Vubu et Lumumba, du pouvoir. Selon vous, pourquoi n’a-t-il pas pris réellement le pouvoir à cette époque là ?
Honnêtement, je crois que Mobutu ne se voyait pas encore assez puissant pour prendre la tête du Congo. Non, il n’était pas prêt à assumer ces responsabilités. Il faut savoir qu' après l’indépendance, le pays allait très mal. Les Congolais ont vécu dans un chaos total : il y avait des troubles meurtriers dans tout le pays. L’ONU y a même déployé ses troupes, la première grande opération militaire de cette organisation internationale depuis sa fondation.
Le 24 novembre 1965, Mobutu prend le pouvoir. Sept mois après, quatre hommes politiques sont accusés de fomenter un coup d’Etat. Ils sont condamnés et pendus. Comment expliquez-vous cette cruauté ?
Mobutu était machiavélique. Il avait vraiment voulu frapper un très grand coup dans le sang, parce qu’il se sentait encore fragile. Cette conjuration n’était qu’un piège pour mettre aux arrêts quatre hommes politiques congolais. Il avait très habilement choisi ses cibles : Evariste Kimba, un katangais, premier ministre jusqu’en novembre 1965 ; Emmanuel Bamba, ressortissant du Bas-Congo, sénateur et dignitaire de l’église kimbanguiste ; Alexandre Mahamba de la province du Kivu, ministre des Affaires foncières dans le gouvernement de Cyrille Adoula ; Jérôme Anany, originaire de l’Equateur, ministre de la Défense dans le gouvernement Adoula. Ce quadruple meurtre lui avait permis d’instaurer la peur chez les Congolais pour conserver le pouvoir. Et cela a fonctionné. Mobutu voulait être craint, car selon lui, être craint est synonyme d’être respecté.
Vous comparez Mobutu au premier consul français Napoléon Bonaparte. Pourquoi ?
Je crois qu’il y avait en lui des éléments assez napoléoniens : le cynisme, la volonté d’avoir un Etat jacobin très fort, l’intelligence politique… Jusqu’au bout, servi par la chance, Mobutu a su manipuler tout le monde. Seules la maladie et la mort ont eu raison de lui.
Protégé par les occidentaux, Mobutu est resté 32 ans à la tête du pays. Et on explique sa longévité au pouvoir par la tyrannie, la terreur, l’autoritarisme, la corruption, la manipulation, l’achat de la classe politique… N’aurait-il pas dû demander pardon au peuple congolais pour les abus commis pendant son règne ?
Bien sûr que Mobutu aurait dû demander pardon au peuple congolais. C’est du domaine de la conscience morale. Mais il ne l’a jamais fait parce qu’il s’en fichait pas mal de la vie du peuple et de ses souffrances. Le paradoxe dans tout ça, vingt ans après sa mort, le régime de ses tombeurs étant si peu brillant, et le peuple ayant une mémoire sélective, lui a pardonné ses erreurs et préfère surtout se souvenir du Zaïre à l’époque, un pays craint et respecté par ses voisins.
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