Conflits à l’Est de la RDC : It's the economy, stupid ! (Analyse d’ Oasis KODILA Tedika*)

Avec maintenant la commémoration du Genocost du 02 août, la société civile a eu raison du tâtonnement gouvernemental. Alors que les congolais pleurent leurs morts, plus que jamais la situation ne cesse de se dégrader en dépit de multiples rencontres ou des déclarations tous azimuts. Cette commémoration rappelle donc la nécessité d’agir et d’agir vite pour ne plus continuer ad vitam eternam à compter des morts. C’est peut-être là que le slogan (it’s the economy, stupid – c’est l’économie, stupide) devenu emblématique de Jim Carville, un stratège lors de la victoire de Bill Clinton à l'élection présidentielle américaine de 1992 contre le président sortant George H. W. Bush, qui misait sur son succès international, prend tout son sens dans le cas congolais.

Les conflits dans l’Est du pays sont consécutifs à plusieurs facteurs. Les dernières sorties des Nations-Unies indexent clairement les voisins de la RDC. Mais au-delà, l’enjeu dans ce coin de la République n’est pas que les M23. Des chiffres officiels indiquent la présence des centaines de groupes armés agissant dans plusieurs coins. Cette floraison est plus facile à la suite notamment de la jonction de la démographie et de l’économie. En effet, plusieurs études montrent que les jeunes chômeurs sont facilement recrutés en tant que combattants, car le manque d’opportunités d’emplois rend attractif l’enrôlement dans un groupe armé. L’explication est bien simple : le conflit pourrait être considéré pour les jeunes chômeurs comme une activité génératrice de revenus. Aussi, l’offre abondante de main-d’œuvre jeune réduit le coût de recrutement dans les milices, augmentant ainsi le risque de conflit armé. Ainsi, dans une recherche, on trouve par exemple qu’une progression d’un point de pourcentage de la proportion des jeunes dans la population totale est liée à un risque accru de conflit d’environ 7 %. En outre, les pays où la proportion de jeunes est de 35 % ou plus ont trois fois plus de risque de conflit que les pays où elle est de 17 %, c’est-à-dire la moyenne des pays développés.

L’Est de la RDC présente malheureusement maintenant un profil favorable aux conflits. Primo, parce que la RDC est classée dans ce que les économistes appellent la trappe à conflits : les conflits armés internes engendrent des conflits en exacerbant les conditions politiques et économiques causales qui augmentent les risques de nouvelle guerre. Empiriquement, ce « piège du conflit » fonctionne selon quatre voies : les conflits augmentent la probabilité de continuation, de récurrence, d'escalade et de diffusion du conflit.

Secundo, la combinaison d’un passé conflictuel avec les conditions démographiques et économiques actuelles ne favorise pas la situation. Tenez un exemple : à regarder de près le Rapport officiel sur l’emploi des jeunes écrit par l’Observatoire Congolais du Développement Durable/Ministère du Plan, plus de la moitié de la population jeune du Nord et Sud-Kivu est en âge de travailler. Pourtant, le taux d’emploi des jeunes n’est que 48,6 % au Nord-Kivu et 49,8 % au Sud-Kivu. La croissance démographique pour les dernières données disponibles a été de 4,22% pour le Nord-Kivu et de 4,14 % pour le Sud-Kivu. Conséquence : davantage de jeunes.

Donc régler les conflits dans cette partie du pays exige la réduction des incitations négatives. Et ce, via notamment le canal de l’emploi et donc de revenu. Il ne s’agit nullement d’une vue de l’esprit. Pour preuve, les chercheurs de l’Université d’Anvers ont expérimenté un programme de construction de trois centrales hydroélectriques à forte intensité de main-d’œuvre dans 21 chefferies du Nord-Kivu. Ils comparent ensuite près de 9 000 événements de conflit survenus entre 2009 et 2022 entre les chefferies qui ont bénéficié de ce programme et celles qui n’en étaient pas bénéficiaires. Ces chercheurs ont trouvé une baisse de 93 % du nombre d’événements de conflit mensuels dans les chefferies où le programme a été mis en œuvre. La réduction de la violence a été la plus prononcée dans les chefferies où l’injection de salaire par habitant était la plus élevée.

Un petit détour au sujet des voisins. Une des solutions pour imposer le respect et réduire sensiblement les velléités expansionnistes ou intrusives pour la RDC est également économique. Dans une recherche publiée dans une revue scientifique prestigieuse, il est démontré l’effet du doux commerce de Montesquieu. En effet, selon cette recherche, un doublement du commerce bilatéral entre la RDC et le Rwanda réduirait la probabilité d’escalade de 30 à 28 %, dix années de paix la réduiraient à 25 %. C’est ici que la RDC doit appliquer une stratégie commerciale d’exportation. Pour l’instant, on en est loin. Le graphique ci-dessous en fournit la preuve : la balance commerciale de la RDC avec ses voisins est déficitaire. En plus, le poids économique de ce pays est infinitésimal. À titre indicatif, le Rwanda n’importe de la RDC que des biens qui représentent à peine 0,86 % de toutes ses importations, alors que les biens provenant de ce pays pour la RDC équivalent à 25,4 % de l’ensemble de leurs exportations. Par ailleurs, peser économiquement sur l’échiquier régional est un atout : l’économie vous donne les moyens de vous défendre, de contraindre et d’anticiper.

Source : Nous-même, à partir des données de 2022 provenant de l’Observatoire de la complexité économique (OEC) et de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED)

En somme, il serait stupide de notre part de restreindre les conflits dans l’Est du pays à une seule dimension. Il est également illusoire que seule la diplomatie soit mise à profit pour contenir cette situation. L’économie compte. Et ne pas le comprendre serait encore plus stupide de notre part.

*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives. Les points de vue développés ici n’engagent pas les institutions d’appartenance de l’auteur.