Chroniques & Analyses
Le président de la République Démocratique du Congo (RDC) a affirmé qu' « une riposte vigoureuse et coordonnée contre les terroristes et leurs soutiens est en cours ». Cette déclaration a résonné dans les esprits de nombreux observateurs comme le début d'un conflit ouvert entre la RDC et le Rwanda, bien qu’aucune déclaration officielle de guerre n’ait été faite. Pour beaucoup de Congolais, la situation, souvent exprimée sur les réseaux sociaux, semble n’offrir d'autre issue que la guerre directe pour rétablir l'ordre et mettre fin à un conflit qui dure depuis trop longtemps. Alors, d'un point de vue économique, quel des deux pays pourrait tirer son épingle du jeu ?
Prenons un moment pour examiner quelques chiffres clés. La guerre étant en grande partie une question de ressources, la RDC semble disposer d’un net avantage sur le Rwanda. En 2023, selon le World Development Indicator (WDI) de la Banque mondiale, le PIB nominal de la RDC s’élevait à 66,3 milliards de dollars, soit 4,7 fois celui du Rwanda, qui est de 14 milliards de dollars. Toutefois, le Rwanda a connu une croissance plus dynamique avec un taux de croissance annuel moyen du PIB de 7,4 % entre 1998 et 2023, contre 4,4 % pour la RDC. En termes réels, ajusté pour l'inflation, le PIB constant de la RDC (en dollars de 2015) était de 56,8 milliards de dollars, soit 4,1 fois plus élevé que celui du Rwanda. En éliminant l'effet de l’inflation et des différences de taux de change, l'économie congolaise est environ 3,6 fois plus importante que celle du Rwanda. Par ailleurs, ces différentes de taille se reflètent tout naturellement dans les budgets de ces deux pays : 17,5 milliards d’USD pour la RDC et 4 milliards pour le Rwanda.
Cependant, la taille de l'économie seule ne suffit pas à déterminer l'issue d'un conflit. Il faut également prendre en compte les investissements dans le secteur militaire. Sur ce plan, les deux pays ont des allocations relativement proches. En 2023, les dépenses militaires du Rwanda représentaient 1,3 % de son PIB, contre 1,2 % pour la RDC. Rapportées aux dépenses gouvernementales, ces dépenses militaires étaient respectivement de 6,96 % pour le Rwanda et 4,55 % pour la RDC. Néanmoins, pour évaluer la capacité militaire réelle, il est important de considérer les montants absolus : en 2023, les données de WDI indiquent que la RDC a consacré 794,2 millions de dollars aux dépenses militaires, tandis que le Rwanda n’a alloué que 178,6 millions de dollars, soit environ 4,45 fois moins que son voisin.
Les dépenses militaires ont un impact direct sur plusieurs aspects stratégiques, notamment l'acquisition d'armements et la gestion du personnel militaire. En ce qui concerne les armes, l'analyse des données de SIPRI sur la période 1998-2023 révèle que la RDC a importé un total de 553 millions d'armes, contre seulement 237 millions pour le Rwanda. Cependant, si l'on se concentre sur la période plus récente, marquée par l'apparition du M23, le rapport de force s'inverse. Entre 2012 et 2023, le Rwanda a importé 150 millions d’armements, tandis que la RDC en a importé 120 millions. Cela montre un renforcement du pouvoir militaire rwandais, qui semble plus actif dans les années récentes.
En ce qui concerne le personnel militaire, le graphique suivant illustre que, sur l'ensemble de la période, la proportion de la population rwandaise enrôlée dans les forces armées par rapport à la population active a été systématiquement supérieure à celle de la RDC. Cela pourrait refléter une volonté d'expansion ou une conscience accrue des défis militaires régionaux, de la part du Rwanda. La RDC semble, quant à elle, n’avoir pas suffisamment pris la mesure des ambitions potentielles de certains de ses voisins.
Lorsque l'on analyse les chiffres sous une perspective relative, cela reste crucial, mais il est important de noter que la RDC a une nette supériorité en termes de nombre de militaires. D'après les données les plus récentes de la Banque mondiale (WDI), qui datent de 2020, la RDC dispose de 3,82 fois plus de personnels militaires que le Rwanda. En termes absolus, la RDC comptait alors 134 000 soldats dans ses forces armées, tandis que le Rwanda n’en comptait que 35 000. Cette disparité indique une capacité militaire plus large pour la RDC, même si la formation et l’équipement de ces forces restent des éléments essentiels à considérer.
Parce que petites, ces deux économies sont fortement influencées par la communauté internationale, notamment à travers les aides au développement. Ce phénomène n’est pas anodin : l'exemple des sanctions imposées au Rwanda en 2012, qui ont coïncidé avec la disparition du M23, en témoigne. Cela montre que l'influence extérieure peut effectivement jouer un rôle déterminant dans la gestion de certains conflits. De ce fait, la RDC continue de réclamer des sanctions, espérant ainsi contraindre son voisin à adopter une posture plus pacifique.
De l'autre côté, Paul Kagame a récemment suspendu la coopération avec la Belgique, une décision qui peut sembler stratégique, mais qui comporte des risques considérables. En effet, cette mesure pourrait affaiblir l'économie rwandaise à long terme. Malgré la solidité apparente de son régime, la pression économique pourrait avoir des conséquences qu'il ne pourra pas aisément gérer, même avec une gestion autoritaire. En effet, en termes d’aide publique au développement (APD), le Rwanda semble être davantage dépendant que la RDC. En 2020, l’APD représentait 8,3 % du revenu national brut du Rwanda, contre seulement 5,2 % pour la RDC. Toutefois, cette comparaison en pourcentage du revenu national brut ne rend pas suffisamment compte de la réelle dépendance de chaque pays à l’APD. Si l’on prend en compte les dépenses gouvernementales, la situation est encore plus frappante : en 2020, l’APD représentait 74,2 % des dépenses publiques rwandaises, avec une tendance à la hausse, renforcée par les engagements récents du pays avec la communauté internationale. En revanche, en RDC, ce ratio a considérablement diminué, passant de 76,5 % en 2020 à seulement 37 % en 2022. Cette évolution montre que la RDC devient relativement moins dépendante de l’APD, ce qui pourrait lui conférer davantage de marge de manœuvre dans ses décisions économiques et politiques.
En conclusion, l'analyse des données économiques et militaires des deux pays révèle des dynamiques complexes qui vont bien au-delà des simples rapports de force. La RDC dispose d'un potentiel économique et militaire supérieur à celui du Rwanda, mais cet avantage n'est pas nécessairement synonyme de domination sur le terrain. L’analyse présentée ne couvre qu’une partie des enjeux. D’autres aspects seront abordés dans une prochaine analyse, afin de donner une vision plus complète et nuancée de cette situation complexe.
Une analyse de Guelor Tshishimbi, économiste
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