Afrique
Lorsque le Secrétaire d’Etat Américain Antony Blinken a finalement conclu sa récente tournée éclair des pays africains au cours de laquelle il a martelé un seul message important: «Les Etats-Unis d’Afrique n’ont pas oublié l’Afrique », il était loin de nous rassurer. C’est parce que ce sont plutôt les Etats-Unis qui ne peuvent se permettre d’oublier l’Afrique à moins qu’ils ne soient ingrats.
Pour les Etats-Unis d’Amérique, oublier l’Afrique, c’est oublier leur propre histoire. L’Afrique doit rester intensément fixée dans la mémoire de l’Amérique car sans les travaux forcés des Africains, l’Amérique ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
En effet, comme l’a dit l’ancienne Secrétaire d’Etat Américaine Condoleezza Rice, une femme afro-américaine elle-même, ce sont les Etats-Unis qui ont le plus profité de l’Afrique avant même la Conférence de Berlin. «L’Afrique a tant donné à l’Amérique – plus que quiconque. Ce sont les fils et filles d’Afrique volés qui ont soulevé le corps de l’Amérique, brique par brique, champ par champ, ville par ville. » La Maison Blanche elle-même qui a été construite par des esclaves africains est un rappel à cet effet. Et cela s’est passé, il n’y a pas longtemps, comme l’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield, également une femme afro-américaine, l’a fait remarquer récemment: « Je suis une personne d’origine africaine. Mais, plus important encore, je suis une descendante d’esclaves. Mon arrière-grand-mère Mary Thomas, née en 1865, était l’enfant d’un esclave. C’est à seulement trois générations de moi» .
De plus, les bévues raciales américaines, comme le meurtre de George Floyd récemment, ont toujours une résonance particulière en Afrique et continuent sans relâche à ronger la conscience américaine. L’Amérique ne doit pas oublier que le cordon ombilical qui relie les Africains de la diaspora et ceux de l’Afrique continentale ne sera jamais coupé.
Regorgeant d’une grande partie des ressources mondiales en eau, en terres arables encore inexploitées, en minerais stratégiques comme le cobalt et le coltan, en forêts, ainsi que le fait que d’ici 2050 l’Afrique comptera près de 25% de la population mondiale, etc. l’Afrique est d’un intérêt vital pour l’Amérique, surtout sur le plan sécuritaire et économique, mais l’Amérique feint de ne pas le savoir. Par ailleurs, la présence de la Chine en Afrique maintient l’Amérique dans un état d’insomnie et l’insomnie et l’oubli ne sont pas de bon augure. L’Amérique a longtemps essayé de maintenir le statu quo d’une Afrique appauvrie intacte par le biais des régimes par procuration et des guerres par procuration afin de continuer à bénéficier d’un tel statu quo paupérisation.
La République Démocratique du Congo en est un parfait exemple. En effet, sur le plan social, je ne peux vous montrer un seul hôpital construit par les États-Unis d’Amérique dans le pays de Lumumba. Mais, les Etats-Unis n’interviennent ici que par l’intermédiaire du FMI et de la Banque mondiale pour finalement laisser le pays criblé de dettes.
Tout d’abord, c’est grâce au caoutchouc congolais que l’Amérique a pu développer son industrie d’automobile en contre partie des mains congolaises coupées, disons le premier génocide sur le sol africain après la traite des esclaves. C’est aussi grâce à l’uranium congolais que l’Amérique a fabriqué la première bombe atomique quia mit fin à la Deuxième Guerre Mondiale. L’Amérique et ses alliés européens doivent leur victoire finale sur le nazisme et le fascisme au Congo. Après l’assassinat de Patrice Lumumba, leader de l’indépendance du Congo par la CIA et les services secrets belges et britanniques, l’Amérique avec particulièrement la France et la Belgique (la fameuse troïka) a maintenu Mobutu au pouvoir pendant 37 ans.
Et quand Laurent Kabila a renversé Mobutu, il a réaffirmé la souveraineté nationale du pays et sur ses ressources et par conséquent s’est brouillé avec l’Amérique qui a utilisé le Rwanda et l’Ouganda comme mandataires pour lancer des guerres par procuration, envahir le Congo, occuper ses terres et déverser les populations venus du Rwanda et de l’Ouganda et des autres pays de l’Afrique de l’est, utiliser le viol comme arme de guerre, massacrer plus de 10 millions de Congolais et piller les ressources minérales et autres ressources naturelles dont regorge le Congo. Tels des figuiers étrangleurs, le Rwanda et l’Ouganda veulent étrangler le Congo, l’arbre de vie sur lequel ils se sont appuis car, c’est le Congo qui a fait d’eux ce qu’ils sont devenus.
L’Ouganda a été condamné par le Cour Internationale de Justice et sommé de payer des amandes au profit de la RDC d’une valeur de 11 milliards de dollars. Le Rapport Mapping fustige sans ambages le Rwanda. En dépit de tout cela, Le Rwanda et l’Ouganda continuent de pérenniser leur présence militaire au Congo en y soutenant les groupes armés ou en y intervenant directement pour mener une guerre de faible intensité contre la RDC en vue de sa balkanisation.
En fait, certains responsables américains, tels que l’ancien envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs et le Sahel, J. Peter Pham, ont suggéré que la République démocratique du Congo soit simplement laissée à l’abandon pour se désintégrer par elle-même comme l’a été le Soudan. Et ça fait plus de 25 ans que cela dure maintenant pendant que le Congo est maintenu sous embargo militaire par les puissances qui soutiennent le Rwanda et l’Ouganda et corrompent les dirigeants civils et militaires Congolais faibles d’esprit à tous les niveaux pour que ça passe. Mais, ils trouvent toujours la résistance et la vigilance du peuple Congolais sur leur chemin.
Personne ne peut arrêter la roue de l’histoire. La réémergence de la Chine (qui était jadis une grande puissance dénommée « l’Empire du Milieu ») offre aux Africains un partenariat alternatif gagnant-gagnant dont ils ont toujours rêvé, susceptible de leur permettre de gravir les échelons du développement comme les autres et de leur permettre de tenir leur avenir entre leurs mains. Il s’agit du transfert des nouvelles technologies au profit du peuple congolais susceptibles de l’aider à transformer ses ressources sur place et créer des emplois et des marchés à son profit.
En même temps, l’Afrique ne cherche pas à rompre les liens avec l’Occident. Mais il refuse d’être complexé ou inhibé vis-à-vis du même Occident. L’Afrique n’oubliera jamais où l’Occident l’a laissée et exige également un nouveau partenariat gagnant-gagnant avec le même Occident. Néanmoins, alors que la mentalité de guerre froide persiste en Europe et en Amérique, l’Afrique reste toujours sur ses gardes. Car, selon les mots d’un personnage inconnu de la fiction « Good Morning England », l’Afrique ne cesse aussi de se rappeler constamment : « N’oublie pas, soit ferme… en effet, très ferme ».
Antoine Roger LOKONGO est Professeur Agrégé d’Histoire des Relations Internationales et d’Histoire Politique de la RDC à l’Université Président Joseph Kasa-Vubu, Boma, République Démocratique du Congo. Il est titulaire d’un doctorat en politique internationale et stratégies de l’Université de Pékin, en Chine.
(1) US Department of State, “Transcripmat of Condoleeza Rice’s address to the AGOA Forum,” agoa.info, June 8, 2006, https://agoa.info/news/article/3816-transcript-of-condoleezza-rice-address-to-the-agoa-forum.html, accédé le 11 septembre 2013.
(2) Allocution de l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield lors d’une réunion commémorative de l’Assemblée générale des Nations Unies pour la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, 19 mars 2021.
(3) Peter Pham, « To Save Congo, Let It Fall Apart », The New York Times, Nov. 30, 2012.
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