Economie
L’Union européenne doit sanctionner les crimes de corruption. C'est l'appel que plusieurs députés du Parlement européen lancent dans une lettre ouverte. Le courrier interpelle Josep Borrell, le Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et lui demande d'élargir le régime de sanctions européennes contre les violations des droits de l'Homme.
Pour les élus européens, l'Europe devrait notamment se pencher sur le cas de l’homme d’affaires d’origine israélienne, Dan Gertler, soupçonné de s’être enrichi en RDC au travers d’opérations minières douteuses. Pour en parler, nous recevons ce matin Maria Arena, une députée belge qui a signé ce courrier.
RFI : Dans cette lettre ouverte, vous signalez un décalage entre les sanctions qui frappent Dan Gertler aux États-Unis et l’absence de sanctions, actuellement en Europe. Cela veut donc dire que pour l’instant Dan Gertler peut, sans entrave, investir en Europe ?
Maria Arena : Effectivement, suite aux sanctions américaines de 2017, monsieur Gertler a pu réorganiser son activité vers l’Europe, avec des sociétés offshores, qui lui permettent de recycler l’argent mal gagné en République Démocratique du Congo. Rappelons que les sanctions américaines de 2017 faisaient état d’un détournement de plus d’un milliard 300 millions d’euros, par les sociétés de monsieur Gertler, suite à des acquisitions malpropres, liées à des faits de corruption en République Démocratique du Congo.
Vous écrivez dans cette lettre : « Le cas de Dan Gertler est emblématique, parce qu’il démontre combien l’Union européenne est en train de devenir, de fait, un refuge pour les fonds issus de la corruption ». On en est là, selon vous, l’Europe devient un refuge pour l’argent de la corruption?
C’est lecas, aujourd’hui, oui. Quand il n’y a pas d’audit d’investigation et de capacité de sanction au niveau européen, c’est une faiblesse et donc cela donne la possibilité à des individus tels que monsieur Gertler, d’utiliser le territoire européen.
Ce qu’il faut signaler dans le dossier Gertler, c’est que pour l’instant, au moins, l’homme d’affaires israélien bénéficie aux États-Unis d’un répit d’un an et ce répit lui a été accordé par l’administration Trump, quelques jours avant l’entrée en fonction de Joe Biden.
Vous savez, c’est très particulier, la manière dont monsieur Trump a assoupli cette sanction. Beaucoup d’ONG se sont exprimées sur ce sujet. C’est une levée temporaire des sanctions à son égard. Cela lui donne la possibilité pendant un an de refaire des opérations en dollars, qui n’étaient plus possibles depuis 2017.
Dans la lettre ouverte que vous signez, vous interpelez donc le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la sécurité. Vous l’interpelez au sujet du mécanisme de sanctions, qui a été adopté récemment contre les auteurs de violation des droits de l’homme. Et vous dites : «Il faut élargir ce mécanisme aux faits de corruption ».
Vous savez, l’Union européenne a la possibilité de sanctionner des États, quand ceux-ci sont en violation grave des droits de l’homme. Le problème c’est que, ce régime de sanctions vis-à-vis d’un État peut avoir pour conséquence de sanctionner les populations. Par exemple, par une suspension de l’aide au développement vis-à-vis de cet État. Et donc, ce que monsieur Borrel a proposé, c’est un régime de sanction ciblé, à l’égard de personnes qui sont directement impliquées dans des violations graves des droits de l’homme.
Donc c’est vraiment un mécanisme qui est beaucoup plus précis et qui permettrait de geler les avoirs, de faire un Ban des visas, mais aussi d’empêcher toute organisation européenne d’avoir des relations économiques avec ces personnes, qui sont identifiées comme étant partie prenante d’un dispositif de violation des droits de l’homme. Pour l’instant, les faits de corruption, tels quels, ne sont pas intégrés.
C’est la raison pour laquelle nous faisons cette lettre au Haut représentant, pour qu’il nous démontre qu’avec ce cas emblématique de monsieur Gertler, ce mécanisme de sanctions peut intégrer des faits de corruption, liés à des violations graves des droits de l’homme.
Et est-ce que la Commission de l’Union européenne vous semble ouverte à ce genre de démarche ?
Je pense que monsieur Borrel y est ouvert. Et d’ailleurs je le félicite de l’initiative qu’il a prise, en ce qui concerne les sanctions pour violation des droits de l’homme. Je sens le Conseil, parfois, beaucoup plus réticent à ces questions. Vous savez, les questions des sanctions au niveau du Conseil sont toujours difficiles à obtenir, parce qu’il y a toujours un État membre qui a un intérêt particulier.
Soit, parce qu’il a des entreprises sur son territoire, soit parce qu’il a des intérêts particuliers dans la relation avec le pays que nous souhaiterions sanctionner. Et c’est la raison pour laquelle il a demandé la décision à l’unanimité. Or, ce mécanisme aurait été beaucoup plus efficace, si la décision avait été prise à la majorité qualifiée.
Qu’est-ce que vous attendez de la Commission, de manière plus générale ?
De manière plus générale, c’est que l’Europe ne soit pas le refuge des biens mal acquis. Je pense que cela est vraiment extrêmement important. J’ai été à l’initiative de la loi sur les minerais des conflits, qui demande qu’il y ait une traçabilité de ces minerais exploités dans les régions de conflits et nous avons obtenu cette loi. Mais si, tandis que par la porte nous avons obtenu cette loi, par la fenêtre les personnes qui organisent la corruption permettent le commerce de ces minerais, cela posera difficulté et on n’aura pas réglé le problème. Donc il faut fermer la porte liée aux minerais des conflits, par la législation que nous avons mise en place, mais il faut aussi fermer la fenêtre à ces personnes qui agissent dans la corruption et qui sont, en tant que telles, liées au non-respect des droits de l’homme dans ce pays.
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