Provinces
Depuis juin de cette année, la société civile du Haut-Uélé a lancé des opérations contre les Mbororos, éleveurs semi-nomades qu’elle considère comme des « envahisseurs ». Voilà plusieurs années que la population locale doit cohabiter avec ces pasteurs et leurs troupeaux; cela ne se passe pas bien, selon elle. L’absence de réaction de l’Etat pour régler le problème, depuis des années, pousse les Congolais à « l’auto-prise en charge ». Une situation qui peut dégénérer.
Voilà des années que les Congolais du Haut-Uélé (nord-est; ex-Province orientale) cohabitent avec des Mbororos. Il s’agit d’un sous-groupe des Peuls (originaires d’Afrique de l’ouest) qui se consacre à l’élevage du bétail et pratique le nomadisme saisonnier. Mais ce mode de vie est de plus en plus difficile à mener en raison de la destruction des routes traditionnelles de la transhumance par la vente de terres, l’installation d’agriculteurs, l’érection de clôtures et constructions diverses qui empêchent le bétail d’accéder aux cours d’eau, etc…
Les guerres les chassent
Les affrontements armés au Sud-Soudan et en Centrafrique ont en outre fait fuir les Mbororos de ces pays. En Centrafrique, en particulier, la richesse (relative) que constituent leurs troupeaux les a fait prendre pour cibles de bandits de grands chemins, qui ont razzié leur bétail et enlevé leurs enfants contre rançon, tandis que leur religion musulmane les fait assimiler automatiquement aux ennemis des « anti-balakas » chrétiens dans la guerre civile que vit ce pays. En 2006-2007, des milliers de Mbororos centrafricains ont fui ce pays pour le sud du Tchad, le Cameroun et la RDCongo. La richesse des pâturages dans le nord-est de l’ancienne colonie belge est un rêve pour les éleveurs Mbororos venus de ces pays.
Les Mbororos sont cependant de plus en plus mal acceptés par les Congolais. La population locale leur reproche d’être armés et, comme tous les agriculteurs confrontés à du bétail non enfermé, accuse leurs bêtes de détruire des champs et « polluer » des points d’eau. Certaines groupes de la société civile congolaise assurent qu’ils « tuent » et « violent » des Congolais, tandis que l’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a rédigé un rapport dénonçant des cas d’exactions dont les Mbororos sont victimes de la part de soldats congolais.
Une région abandonnée par Kinshasa
Le Haut Uélé, très excentré, est indéniablement une des régions les plus abandonnées par les pouvoirs publics congolais et cela depuis longtemps. Riche de 2 millions d’habitants seulement pour un territoire grand comme trois fois la Belgique, cette province a subi les exactions de la Lord’s Resistance Army (LRA) ougandaise, avec son flot de mutilés et traumatisés à vie, et l’arrivée de 13.000 réfugiés soudanais et sud-soudanais à la suite des conflits civils. Cela a encore accru les tensions dans une zone pratiquement privée de vraies routes, où fonctionne un seul tribunal de grande instance. (Voir documentaire réalisé en 2017 par une ONG locale https://youtu.be/sHFr-orenBs ).
En avril dernier, un affrontement entre Congolais et Mbororos à Tadra (territoire de Faradje) a fait un mort et deux blesses chez ces derniers. Le drame a entraîné une série d’actions de la part de la société civile locale, encouragée à agir par le député provincial Jean Faustin Akuma et lassée d’attendre une intervention des pouvoirs publics congolais.
« Opération zéro Mbororo »
En juin, la « jeunesse » de la province a ainsi lancé une « Opération zéro Mbororo »: une marche et une journée ville morte le 12 juin « pour que tous les moyens utiles d’autodéfense se voient amorcés par cette population vulnérable », selon les mots de l’organisateur, Me Isaac Degba Egboko. Les protestataires, soutenus par le députés national de Faradje Jean-Pierre Anokonzi, accusent « la communauté internationale » de « cajoler » les Mbororos, « présentés abusivement comme des réfugiés climatiques ».
Le 11 septembre dernier, on déplore plusieurs blessés dans un nouvel accrochage entre Congolais et Mbororos à Nyangara centre. Ces derniers sont accusés de se comporter « en territoire conquis, avec une tendance de sédentarisation ». Bref: les habitants du Haut Uélé ont peur que les Mbororos s’installent.
Le 9 octobre, la société civile lance « un train de mesures pour chasser les envahisseurs ». Il s’agit d’un appel à la population à rompre toute relation avec les Mbororos: ne plus consommer leur viande (NDLR: vendue moitié moins chère que celle des bouchers congolais, au grand mécontentement de ceux-ci mais à la satisfaction de la population pauvre) et refuser de les « voir » sur les marchés; ne plus leur acheter de bétail; ne plus rien leur vendre; ne plus les saluer; ne plus leur louer de logement; ne plus les transporter; ne plus avoir de « relations sexuelles » avec eux; exiger qu’ils quittent « votre village, votre quartier ».
Le gouvernement provincial se réveille alors. Le 17 octobre, il a exhorté les Mbororos à regagner « leurs pays » et la population congolaise à les laisser rentrer chez eux sans incidents. Selon l’ONG locale Apru (Action pour la promotion rurale), des départs sont effectivement observés. On ignore encore, toutefois, où se rendent les éleveurs qui ont repris la route.
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