Société
L'occupation du cimetière est illégale
Faute de moyens ou d'espace pour se loger convenablement, les habitants du cimetière expliquent s'être résolus à bâtir illégalement des maisons en terre, en briques ou en tôle dans cet étrange voisinage. Ils détruisent parfois des tombes, une dégradation qui peut coûter de un à six mois de prison, alors que l'occupation sans titre d'un terrain est passible d'un mois à un an de détention, selon le code pénal.
Le cimetière de Kinsuka, construit en 1978, abrite les dépouilles de personnalités, comme le père de la Première dame de la République démocratique du Congo, Olive Lembe Kabila, explique Jean-Pierre, percepteur adjoint des taxes d'enterrement.
Un village presque classique, avec école
Quelques restes de tombes rappellent que le lieu est un cimetière mais de larges étendues sont colonisées par les vivants. La vie semble presque normale. Les ruelles terreuses sont bordées d'étals de bois présentant aliments et biens de première nécessité. Munies de seaux, des femmes puisent de l'eau ou vont en chercher à la pompe.
Une école protestante privée a même ouvert dans le cimetière il y a trois ans. Dans une cour, des enfants jouent au football dans le traditionnel uniforme d'école bleu et blanc. "Elle compte aujourd'hui environ 150 enfants. Les parents paient 78.000 francs congolais (environ 80 dollars) par an, contre 300 ou 400 dollars ailleurs", résume le directeur.
Achat et vente de terrains
En RDC, d'autres cimetières abritent des civils - et même des policiers et militaires - qui affirment n'avoir pas les moyens de vivre ailleurs. Thérèse, une veuve de 57 ans, qui habite au cimetière de Kinsuka depuis cinq ans, avait acheté quatre terrains "à un chef coutumier" grâce à l'aide de ses enfants. "Ils ont coûté entre 2.500 et 4.000 dollars chacun (1.800 à 2.950 euros)", raconte cette commerçante. Dans son deux-pièces, la chambre a une moustiquaire, mais pas de matelas.
"En novembre, les policiers sont venus détruire les maisons, ils m'ont pris des affaires. Ils ont cassé, sans offrir une solution à la place. J'ai reconstruit ma maison, mais je n'ai pas eu le courage de reconstruire sur mes autres terrains", explique-t-elle.
"Ça fait peur de dormir près des tombes... Mais on n'avait plus de maison", confie Bibiche, 23 ans, qui vit depuis deux ans à Kinsuka. "Le cimetière, ce n'est pas bien, on n'a pas de courant".
D'autres disent avoir de la lumière et payer une "facture" à la Société nationale d'électricité (Snel).
Risques de maladies
Pour Pius Ngoie, conseiller au ministère de l'Urbanisme, l'"installation sauvage" dans les cimetières est la faute de "fonctionnaires de l'Etat (...) tout à fait irresponsables" qui vendent des parcelles "de façon frauduleuse". Et dangereuse : il faut cinquante ans après le dernier enterrement pour que le cimetière soit considéré comme désaffecté.
"Parfois, les gens voient des sources d'eau, mais quand vous sentez, ça sent le cadavre", commente le Dr Benjamin Mavard Kwengani, directeur de l'hygiène au ministère de la Santé. "Nous n'avons aucune étude, mais il survient des phénomènes anormaux dans les communautés : des diarrhées et des malformations que l'on ne sait pas expliquer".
Le modeste centre de santé dit de "médecine naturelle" du cimetière n'a pas constaté de problème.
Mais pour Peter, un maçon dont le père et le grand-père sont enterrés à Kinsuka, tout cela risque de mal finir. "Un jour, un tracteur (de l'Etat) va venir arracher leurs maisons, et ils vont tout perdre." L'histoire lui a donné raison: quelques jours plus tard, des militaires sont venus détruire certaines des maisons construites sur les vestiges des demeures de défunts. Certains habitants sont partis, d'autres sont restés.
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