Politique
Démission du Premier ministre, discours à la nation d'un chef d'État réputé taiseux et nomination deux jours plus tard d'un nouveau chef de gouvernement… C'est une semaine riche en annonces politiques qui vient de s'écouler en RD Congo, dans le contexte d'une présidentielle initialement prévue le 19 décembre, et dont le report à une date indéterminée ne cesse d'attiser les tensions politiques et sociales. Les manœuvres qui sous-tendent cette recomposition du paysage politique font évidemment couler beaucoup d'encre. Mais celui qui crée surtout l'événement dans la presse africaine se nomme Samy Badibanga.
Samy Badibanga, la surprise du chef !
Contre toute attente, ce député de Kinshasa de 54 ans, issu des rangs de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), frange de l'opposition la plus remontée contre le pouvoir en place, vient d'être nommé Premier ministre par le président congolais Joseph Kabila. « La surprise du chef ! » titre ainsi le site d'info congolais 7 sur 7. « Un choix politique ou un choix pacifique ? » s'interroge quant à lui le site Œil d'Afrique. « Un Premier ministre pour diviser l'opinion », assène le site d'info guinéen Le Djely, tandis que son confrère burkinabé Le Pays ne semble pas déborder d'enthousiasme : « Nomination du Premier ministre en RDC : on est pas sorti de l'auberge. »
C'est la surprise du chef! Personne ou presque ne l'avait vu venir. Samy Badibanga a été nommé jeudi 17 novembre... https://t.co/BZofEBEMmW
— 7sur7 (@7sur7_cd) 17 novembre 2016
La nomination d'un nouveau Premier ministre était certes, attendue. Elle s'inscrit dans l'accord politique conclu le 18 octobre dernier entre la majorité et une partie de l'opposition à l'issue du « dialogue national ». Cet accord prévoyait un report des élections et la mise en place d'un nouveau gouvernement d'union nationale avec à sa tête un Premier ministre issu de l'opposition.
Le choix de Samy Badibanga à ce poste interpelle cependant à plus d'un titre. D'abord, parce que le favori était jusque-là Vital Kamerhe, modérateur de l'opposition au sein de ce processus de concertation lancé par Kabila, et boudé par le Rassemblement, plateforme ralliant de nombreuses forces de l'opposition, dont l'UPDS d'Étienne Tshisekedi. Ensuite, Badibanga, bien que radié de l'UDPS en 2012, demeure néanmoins un représentant de ce parti très hostile à Kabila et à ses velléités de se maintenir au pouvoir, il préside le groupe parlementaire UDPS et alliés à l'Assemblée nationale.
Badibanga, homme de réseau, a travaillé dans l'ombre de Tshisekedi
Pour La Prospérité, « Joseph Kabila réussit un grand coup et envoie un message d'ouverture à l'UDPS ». Le quotidien congolais consacre un long article au parcours de Badibanga, à ses compétences, à ses réseaux, et aux chantiers qu'il doit désormais mettre en œuvre. Il présente un homme « pragmatique », doté d'un « carnet d'adresses étoffé », qui a « travaillé dans l'ombre d'Étienne Tshisekedi (chef de l'UDPS) en tant que conseiller spécial », et qui serait « l'un des rares hommes politiques congolais consultés, directement ou indirectement, dans la conception des récentes résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur la RDC ».
Quant à la transition politique et l'organisation d'élections, Samy Badibanga est celui qui a employé le premier le terme de « glissement », pour désigner le non-respect du calendrier électoral en vue de la présidentielle initialement prévue à l'automne 2016, nous apprend La Prospérité. « Plusieurs fois dans [nos] colonnes, il a déclaré qu'une transition était nécessaire pour organiser de bonnes élections », ajoute le titre de Kinshasa. Dans un tweet daté du 21 octobre dernier, et aujourd'hui supprimé de son compte, Samy Badibanga affirmait d'ailleurs : « Les Congolais doivent choisir leurs dirigeants lors d'élections libres et inclusives. »
Badibanga pour renforcer l'équilibre régional dans les institutions
Le choix de Badibanga, originaire du Kasaï, dans le centre du pays, procéderait aussi d'un souci d'équilibre au sein des institutions, avance Œil d'Afrique. « L'Assemblée nationale et le Sénat ont à leur tête des originaires de l'ouest du pays. La Cour constitutionnelle, la Ceni et la présidence sont entre les mains de l'est du Congo. Badibanga permet au président Kabila d'équilibrer les institutions », explique un ex-ministre du gouvernement Matata au site d'info dédié à l'actualité africaine.
Autre signal envoyé par cette nomination, selon Œil d'Afrique, l'« apaisement au sein du clivage partisan ». À cet égard, Samy Badibanga fait figure de « contrepoids » à Étienne Tshisekedi et se montre plus ouvert à d'« éventuels compromis politiques ». « Badibanga fait partie de ces députés qui avaient accepté de siéger en 2011 à l'Assemblée nationale au nom du respect des votes des citoyens, alors que le président de l'UDPS, Étienne Tshisekedi, interdisait à tous les élus sous l'étiquette de son parti de siéger au Parlement », peut-on lire sous la plume de Roger Musandji.
Kamerhe doublé sur le fil : et si Kabila s'était vengé ?
Si les arguments objectifs en faveur du choix de Badibanga ne manquent pas, 7 sur 7 souligne le coup politique réalisé par le président Kabila. En douchant les espoirs de Vital Kamerhe de tenir les rênes du gouvernement, il règle ses comptes, nous dit en substance le site d'info congolais. Kamerhe, rappelle-t-il, a été un fervent opposant à toute révision de la Constitution susceptible d'ouvrir la voie à un troisième mandat du président Kabila. « Cela ne s'oublie pas en politique », écrit Alphonse Muderhwa.
Et de citer ses autres « sorties de routes » aux yeux du pouvoir : « sa condamnation de l'entrée des troupes rwandaises sur le territoire congolais en 2009 » ou « sa campagne électorale incisive lors de la présidentielle en 2011 ». « Pour toutes ces raisons, Vital Kamerhe n'avait pas les faveurs de la majorité présidentielle. Sa fermeté sur le respect de la Constitution, son ambition présidentielle, son leadership et son passé politique lui ont coûté le poste de Premier ministre. »
« Kabila doit maintenant assumer son choix. Il devra se priver des talents de tribun de Kamerhe, utiles en ces temps. Kabila en dribblant Kamerhe, vient disputer à Gbagbo la qualité de boulanger », conclut-il, en référence au surnom de l'ancien président ivoirien, dont on disait qu'il excellait dans l'art de rouler ses adversaires dans la farine.
Diviser pour mieux régner
Le site guinéen Le Djely va plus loin dans l'analyse des intentions prêtées à Kabila : il s'agirait non pas de barrer la route à un élément contestataire et présidentiable, mais de « diviser l'opposition ». La nomination de Samy Badibanga au poste de Premier ministre est « un choix vicieux fondamentalement guidé par deux objectifs : donner l'impression d'une véritable ouverture et saper les manœuvres de l'opposition », écrit le responsable éditorial du Djely Boubacar Sanso Barry.
« Vu les circonstances, Joseph Kabila ne pouvait certainement espérer un meilleur profil que celui du député Samy Badibanga. Exclu de l'UDPS pour avoir désobéi aux consignes de boycott des institutions congolaises issues de l'élection frauduleuse de 2011, il incarne l'opposition sans véritablement en faire partie », estime-t-il.
Selon lui, ce choix, qui va permettre d'entretenir « une illusion d'ouverture politique » de la part président Kabila, peut dans le même temps s'avérer coûteux pour l'UPDS. « À la tête du futur gouvernement dans un pays où les politiques ne savent pas toujours dire non au pouvoir et aux privilèges auxquels il donne accès, il saura retourner plus d'un opposant. Originaire comme Tshisekedi de la région du Kasaï (acquise à l'opposition, NDLR), le nouveau Premier ministre pourrait même servir d'antidote contre la puissante capacité de mobilisation de l'UDPS.
Surtout que les moyens financiers et médiatiques de l'État pourraient être mis à sa disposition à cette fin. L'opposition congolaise qui n'avait visiblement pas vu venir ce choix n'est donc pas au bout de ses peines. » « Pour venir à bout de Joseph Kabila, elle devra mieux s'outiller et se montrer plus imaginative. Car, en face, elle a un adversaire dont la détermination à l'emporter n'est plus à démontrer », poursuit le journaliste du Djely.
Malgré la nomination de Badibanga, l'UDPS garde le cap
Pour l'UPDS, cependant, la nomination de Samy Badibanga « est un non-événement ». « Cela fait longtemps que Samy Badibanga ne fait plus partie de l'UDPS », a déclaré un représentant de ce parti d'opposition à l'AFP. « Par cette nomination fantaisiste, Kabila ne fait que distraire l'opinion. Il ne retarde ni n'empêche son départ, à l'échéance du 19 décembre », a réagi de son côté sur Twitter Félix Tshisekedi, un des fils d'Étienne Tshisekedi.
Par cette nomination fantaisiste,Kabila ne fait que distraire l'opinion.Il ne retarde ni n'empêche son départ, à l'échéance du 19 décembre.
— Félix A. Tshisekedi (@fatshi13) 17 novembre 2016
Peu après le discours à la nation de Joseph Kabila, ce mardi 15 novembre, l'autre figure de l'opposition radicale, Moïse Katumbi, lui aussi membre du Rassemblement, avait appelé de son côté à la poursuite du dialogue sous l'égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Soutenons dialogue inclusif de la #CENCO. Seule voie crédible de sortie de crise pendant que Pdt #Kabila se moque des aspirations du peuple! pic.twitter.com/HVVswlGqIn
— Moise Katumbi (@moise_katumbi) 15 novembre 2016
Peu après la nomination du nouveau Premier ministre, cette instance religieuse a réagi à son tour. « Une solution doit être trouvée entre Joseph Kabila, Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi. Tel est le credo de nonces apostoliques au cours d'une conférence de presse ce jeudi 17 novembre 2016 à Kinshasa. Pour les délégués du pape François, la déstabilisation politique et sociale de la RDC serait catastrophique pour l'Afrique centrale. C'est pour cette raison, expliquent-ils, que les évêques poursuivent les consultations en faveur de la paix », rapporte le site ActualitéCD.
« Tout le monde retient son souffle »
Enfin, pour le quotidien burkinabé Le Pays, la nomination de Samy Badibanga au poste de Premier ministre sonne comme « un acte de provocation ». « Kabila compte aller jusqu'au bout de sa logique. Il n'entend pas quitter le Palais de marbre de Kinshasa le soir du 19 décembre prochain, qui marque la fin officielle de son deuxième et dernier mandat constitutionnel. Ce faisant, il donne l'impression de couper l'herbe sous les pieds de l'Église catholique qui, en vue d'une solution durable à la crise, était en train de mener des consultations avec l'ensemble de la classe politique. Surtout que les leaders du Rassemblement appellent, eux, à la mise en place d'un « régime spécial » à l'issue du mandat de Kabila fils ».
« Va-t-il pleuvoir du feu sur Kinshasa ? Tout le monde retient son souffle, surtout quand on se rappelle encore les violences des 19 et 20 septembre derniers », écrit-il. Ces violences dans la capitale Kinshasa, en marge d'une manifestation du Rassemblement appelant au départ du président Kabila le 20 décembre, s'étaient soldées par la mort de 53 personnes, selon l'ONU, pour qui les forces de l'ordre avaient fait un usage disproportionné de la force.
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