Monde
Des tribus réclament l'annulation d'une vente de quelque 500 objets sacrés à Paris, et leur restitution.
Des terres poussiéreuses de l'Ouest américain jusqu'aux cossues maisons d'enchères parisiennes, des tribus amérindiennes luttent depuis des années contre la mise aux enchères de leurs objets sacrés, notamment en France.
La tribu d'Acoma Pueblo, dans l'Etat du Nouveau Mexique, et la tribu de la Hoopa Valley, en Californie, réclament cette fois l'annulation d'une vente de quelque 500 pièces la semaine prochaine à Paris, et leur restitution.
«Ce ne sont pas des oeuvres d'art», explique le gouverneur de la tribu Acoma, Kurt Riley. «Ce sont des pièces religieuses qui nous sont chères. Et quand elles partent, c'est comme si on nous enlevait une partie de nous-mêmes».
Des ventes restreintes aux Etats-Unis
Ces tribus sont soutenues par le musée des Amérindiens à Washington et par les ministères américains de l'Intérieur et des Affaires étrangères. La maison d'enchères Eve n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
«En l'absence d'un dossier clair et du consentement des tribus elles-mêmes, ces objets ne devraient pas être vendus», a affirmé Mark Taplin du Bureau des affaires culturelles au département d'Etat lors d'une conférence de presse mardi à Washington.
Les autorités américaines discutent avec leurs homologues françaises depuis le début de ces ventes en 2013 «mais je dois dire que nous attendons toujours une réponse de la partie française», a ajouté M. Taplin.
La bataille est à la fois juridique et culturelle.
La vente d'objets sacrés de tribus indiennes aux Etats-Unis est très restreinte voire illégale, selon les objets concernés et l'endroit où ils ont été trouvés. Et les tribus affirment que ces ventes sont très offensantes car elles exposent publiquement des objets sacrés.
«Ces pièces font partie de notre vie quotidienne et elles sont pour certaines occasions utilisées dans des cérémonies», rappelle M. Riley.
Le trafic est devenu plus facile grâce à internet, mais «nous avons réussi aux Etats-Unis à récupérer certains objets. C'est en France où ils ne sont pas sensibles à nos arguments», affirme le responsable de la tribu Acoma.
Des ventes jugées légales
Plusieurs ventes aux enchères d'objets amérindiens ont été organisées dans la capitale française depuis 2013.
En juin 2014, neuf masques de la tribu Hopi se sont vendus pour 137'313 euros, dont un masque du XIXe siècle qui a trouvé acquéreur pour 37'500 euros.
La justice française a établi que ces ventes étaient légales et a refusé de les annuler quand les tribus ont saisi les tribunaux.
Mais pour les tribus, il s'agit d'une offense à leur religion et à leur culture, qui réveille le souvenir des colons pillant ces mêmes objets sacrés.
Les masques vendus en 2014 sont par exemple considérés comme des êtres vivants par les Hopi et portés par des danseurs lors de cérémonies religieuses.
Bambi Kraus, de la National Association of Tribal Historic Preservation Officers, explique que son association a recensé toutes les ventes et découvert «des choses dont (on) ne connaissait même pas l'existence et qui sont maintenant vendues à l'étranger».
Conroy Chino, un consultant des Amérindiens de la tribu Acoma, assure avoir essayé d'expliquer la position des tribus au Conseil des ventes français, qui régule les enchères, mais ce dernier a répondu que les tribus amérindiennes n'avaient pas de fondement juridique sur le sol français.
«Nous sommes atterrés», ajoute M. Chino. «Cela crée un marché noir où les autorités françaises n'ont pas les moyens d'annuler» les ventes.
Dans une lettre aux autorités américaines début mai, M. Riley a expliqué que beaucoup des 443 objets mis en vente à Paris proviennent des tribus «Hopi, Zuni, Acoma, ou d'anciens peuples qui vivent dans nos provinces culturelles respectives et avec lesquels nous avons un lien fort et profond».
Dépôt d'une loi
L'ambassade des Etats-Unis à Paris a essayé d'intervenir. En 2014, elle a organisé une table-ronde d'information sur la signification religieuse et culturelle de ces objets.
En 2013, l'ambassade avait demandé d'annuler une autre vente de la maison Eve, arguant que les tribus devaient examiner ces objets pour voir s'ils ne pouvaient pas être protégés par une convention de l'Unesco contre le trafic illégal de biens culturels.
Mais la maison d'enchères avait défendu sa vente, affirmant qu'«aucune loi américaine n'était violée». Et la vente a eu lieu, rapportant 520'375 euros pour 24 masques Hopi.
Les Etats-Unis disposent de deux lois fédérales, adoptées en 1990 et en 1979, qui protègent les objets amérindiens. Mais elles n'interdisent pas explicitement leur exportation.
Un élu du Nouveau Mexique, Steve Pearce, a soumis un texte à la Chambre des représentants pour demander aux agences fédérales d'en faire davantage contre le vol de ces objets, ainsi que leur trafic, sur le sol américain ou à l'international.
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