Politique
La blague circule depuis des mois dans les ministères à Kinshasa : « Le Congo, dit-on, est une vaste patinoire. Et on glisse, et on glisse… » En dépit des appels de la communauté internationale, et notamment de la résolution 2277 du Conseil de sécurité des Nations unies, le scrutin présidentiel prévu le 27 novembre a en effet peu de chance de se tenir dans les délais. Un « glissement » du calendrier dénoncé depuis des mois par l’opposition, qui soupçonne le président joseph Kabila de vouloir se maintenir illégalement au pouvoir.
Propulsé à 29 ans, en 2001, à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) après l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila, le jeune président aspire-t-il à devenir un nouveau Sassou Nguesso, l’indéboulonnable homme fort de Brazzaville ? La loi fondamentale l’en empêche pour le moment. Contrairement au Rwandais Paul Kagame ou à son voisin congolais, il n’a pas réussi à reformer la Constitution. Mais s’il ne peut briguer de troisième mandat, le président Joseph Kabila a tout à gagner à faire traîner les choses. La Cour constitutionnelle, saisie par les parlementaires de la majorité, a tranché le 11 mai en faveur de son prolongement à la tête du pays en cas de report du scrutin.
Selon la commission électorale nationale indépendante, la présidentielle et les scrutins locaux pourraient accuser un retard de 14 à 16 mois. Le temps, se défend l’institution, de trouver des financements et de revoir le fichier électoral de 2011 pour y inclure les Congolais ayant depuis atteint l’âge de 18 ans.
Pour donner le change, le pouvoir a appelé ses détracteurs à négocier. Mais l’opposition ne veut pas de ce dialogue, tant vanté sur les panneaux qui domine le rond-point Socimat, au bout du grand boulevard du 30 juin, l’opposition n’en veut pas pour l’heure. En tout cas pas dans les termes définis par le président.
En misant sur le « pourrissement », même avec un vernis de légalité, le président Joseph Kabila joue un « jeu dangereux », souligne Delly Sesanga, avocat, député et ancien rebelle. « La contestation risque de se radicaliser. Ce ne sont pas les politiciens qui demandent l’alternance, c’est la population ». En janvier 2015, les manifestations contre la réforme de la loi électorale avaient fait une quarantaine de morts à Kinshasa.
Décrit comme un homme rusé et doté d’un sens aigu de ses propres intérêts, le président Joseph Kabila peut, à 44 ans, s’estimer trop jeune pour prendre sa retraite politique. A eux trois, ses voisins ougandais, angolais et congolais atteignent l’âge canonique de 216 ans dont 99 passés au pouvoir. Lui a su ramener une paix relative dans un pays déchiré par deux guerres fratricides. Mais son bilan économique, malgré les bons chiffres brandis par le Premier ministre Augustin Matata Ponyo, ne plaide pas en sa faveur. La manne minière n’a pas bénéficié à la population et la chute du cours des matières premières pèse sur les finances du pays. « La dépense publique a été mal gérée, pas orientée vers des secteurs capables de diversifier l’économie », insiste M. Sesanga. La RDC arrive en 176e position au classement du PNUD sur l’indice de développement humain.
L’opposition peine à présenter un front uni
L’opposant Vital Kamerhe, ancien intime du chef de l’Etat, dénonce aujourd’hui un Joseph Kabila « cupide », qui « gâche » les immenses richesses de son pays. En 2011, le député britannique Eric Joyce estimait à 5,5 milliards de dollars (4,2 milliards d’euros de l’époque) le montant des sommes détournées par le pouvoir dans le cadre de cession d’actifs miniers. Le nom de la sœur jumelle du président, Jaynet Kabila, figure d’ailleurs dans les « Panama papers », de même que celui de son ami Dan Gertler, l’homme d’affaires israélien qui a fait fortune en RDC.
Alors que les Etats-Unis le poussent vers la sortie, le président Joseph Kabila peut compter sur le soutien de Pékin et Pretoria, et dispose des moyens considérables de l’Etat. Pour faire quoi ? A supposer qu’il songe à passer la main, ne serait-ce que pour un scénario à la russe, avec un successeur qui lui céderait la place au bout d’un mandat, il n’a pas de dauphin désigné. On évoque son Premier ministre actuel, ou une figure de l’opposition que le président pourrait retourner. « Joseph est insondable, mais c’est lui qui mène la danse. Il sait que l’argent, ici, est une divinité », observe un député de la majorité.
L’opposition peine de son côté à présenter un front uni. M. Kamerhe, l’un des rares hommes politiques congolais à parler les quatre langues nationales, s’oppose pour le moment à une candidature commune anti-Kabila. « On ne donne pas la constitution de l’équipe cinq mois avant le match », argue-t-il. Un tacle à l’ancien gouverneur du Katanga et président du club de foot Tout Puissant Mazembé, Moïse Katumbi, partisan d’une primaire. Ce dernier a officiellement annoncé sa candidature à la présidence le 4 mai. Millionnaire et populaire, il est dans le viseur du pouvoir qui tente de le rendre inéligible en l’accusant d’avoir recruté des mercenaires américains. Et pour cause : l’ex-homme d’affaires, adoubé par les Américains, est perçu par de nombreux observateurs comme la seule alternative crédible. L’opposant historique Etienne Tshisekedi, 82 ans, en convalescence en Belgique depuis 2014, n’est en effet plus en mesure de diriger un parti arrosé de dollars par Kinshasa.
Le président Joseph Kabila saura sans doute profiter de ces divisions, même si certains ne le voient pas en position de force. « La stratégie du glissement, c’est un signe de faiblesse, une forme de “reculer pour mieux sauter”. Ça ne sécurise pas son pouvoir », observe Thierry Vircoulon, chercheur à l’International Crisis Group. Le temps joue néanmoins en sa faveur. A défaut d’une grosse bavure de ses policiers ou d’une démonstration de force de ses adversaires, le président reste maître de l’agenda. Le prochain test aura lieu le 26 mai, jour où l’opposition appelle à des marches de protestation contre la décision de la Cour constitutionnelle.
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Joseph Kabila Kabange, président de la République démocratique du Congo