" Mon père n’était pas malade", déclare Telie Shungu Kadi, dans son oraison funèbre hier au Palais du peuple

Pleurs. Consternation. Exhibition de la mode... Papa Wemba a été "bouffé" à toutes les sauces, lors du premier jour de ses obsèques hier, lundi 2 mai à Kinshasa. La journée est plutôt chaude. Et même très chaude. Mais cette intempérie n’a pas suffi pour empêcher les Kinois déterminés à rendre leurs derniers hommages au Roi de la Société des "ambianceurs" et personnes élégantes (SAPE). Deux temps forts ont marqué ce premier jour des funérailles de la méga star rd congolaise. D’abord, des hommages officiels au Palais du peuple. Ensuite, des vénérations populaires sur l’avenue Kanda Kanda, siège du très légendaire village Molokaï et fief du "roi" disparu, en plein quartier Matonge, dans la commune de Kalamu. Des obsèques à Kinshasa, il y en a eu plusieurs. Mais, c’est la première fois qu’un artiste musicien soit pleuré dans ces proportions. Plus qu’un artiste, le phénomène Papa Wemba a vécu. Reportage.

PAPA WEMBA : GRAND OFFICIER…

7 heures. Le hall du Palais du peuple offre un décor funeste. Des acteurs politiques tant nationaux qu’étrangers, des artistes congolais et étrangers… tous très émus, attendent l’arrivée annoncée à 9h45, de la dépouille mortelle de Papa Wemba. Soit, 15 minutes plutôt que l’arrivée du Président congolais Joseph Kabila. Le programme ne bouge pas d’une seule ligne. A 9h45, la sirène du corbillard, déjà audible à partir du boulevard Triomphal, se répand dans l’enceinte du Palais du peuple. Puis, finalement, ce véhicule qui n’augure pas de bonne nouvelle, entre dans le Palais. Soudain, la fanfare augmente la mélancolie. Le cérémoniel prévoit quatre étapes. D’abord la décoration de l’artiste par le Président de la République. Ensuite, l’oraison funèbre de la fille-aînée du défunt, suivi par deux allocutions. Premièrement, le mot du ministre de la Culture et des Arts, Baudouin Banza Mukalay. En second lieu, le discours de Nyoka Longo qui a parlé au nom de tous les musiciens. La dernière étape aura été celle du dépôt de gerbes de fleurs, avant de lever le corps pour le village Molokaï.

Comme déjà annoncé à la veille du début des obsèques, le Raïs a posé une médaille sur le cercueil, en signe de décoration, à titre posthume, de l’artiste Papa Wemba au rang de Grand Officier de l’Ordre national Héros nationaux Kabila-Lumumba. La cérémonie, s’est déroulée en petit instant, devant plusieurs invités expatriés et tout ce que la RD Congo compte comme acteurs politiques et hommes de culture. La très célèbre musicienne sud-africaine, Yvonne Chaka Chaka a aussi été parmi les artistes venus à Kinshasa pour rendre un dernier hommage au Roi de la Rumba congolaise.

"MON PERE N’ETAIT PAS MALADE…"

"Devant témoins, ma mère et moi-même, le médecin de mon père lui avait confirmé après des examens approfondis qu’il était en bonne santé. Si nous avions eu le moindre doute sur son état [de santé], ma mère et moi n’aurions jamais accepté qu’il puisse faire un concert en Côte d’Ivoire. Nous confirmons qu’il était en bonne santé", a insisté Mme Telie Shungu Analengo Kadi, fille-ainée de Papa Wemba, dans son oraison funèbre a son défunt père. "[…] Nous confirmons que mon père était en bonne santé. Sur ce, nous vous demandons de ne pas spéculer sur une quelconque négligence de la part des organisateurs et de son manager", a-t-elle encore souligné, avant de rappeler qu’en Afrique, le deuil est symbole d’unité, de pardon, de partage. Toutes ces précisions de la fille de Papa Wemba, viennent ainsi mettre un terme à la polémique, encore vive, sur la mort inopinée de son père. Aux bas mots, Mme Kadi Shungu répond à toutes les interrogations qui ont et qui continuent à émailler le décès sur scène, du très célèbre "Roi de la Sape". 

Et, lorsqu’elle peint son père, Kadi Shungu ne manque pas de mots. Elle décrit un "père aimant, affectueux, très généreux et d’une hospitalité légendaire". "Il a eu à adopter des enfants de la rue avec lesquels nous avons grandi et que nous considérons comme nos frères et sœurs", a renchéri Kadi Shungu qui a aussi salué le côté "chef de clan" et "patriarche" que fut son père de son vivant.

Par ailleurs, Kadi Shungu, parlant au nom de sa famille restreinte, n’a pas cherché de mots pour congratuler le Chef de l’Etat congolais pour sa remarquable implication dans l’organisation des funérailles de leur père. "Nous félicitons le Président Joseph Kabila Kabange pour avoir pris en charge matériellement et financièrement ce deuil qui a surpris notre famille et la Nation. Merci également à tous nos proches et anonymes qui nous ont soutenu pendant ces moments de douleur", a-t-elle dit.

Et de poursuivre : Nous avons vécu avec un père dont le témoignage de la générosité attesté par plusieurs personnes ne pouvait que nous rendre fiers de lui. Parmi tant de valeurs qu’il nous a conseillées, le sens de responsabilité en fait partie. Mon père avait uni la tradition à la modernité malgré toute l’influence de l’Occident sur sa personnalité artistique. Il était fortement attaché aux valeurs coutumières, ancestrales de l’Afrique et de cette RDC dont il était si fortement respectueux. Il savait être infiniment sévère, généreux et exigeant. Son sourire laissait entrevoir l’affection et l’attachement qu’il avait pour nous. Son regard porté sur nous ses filles telles des princesses a eu de la place que nous lui réserverons toujours dans nos cœurs. Le roi que nous avons voulu honorer a tout pris... ", a-t-elle conclu. 

VERCKYS KIAMWANGANA, TSHALA MWANA… DANS LE COLLIMATEUR D’AMAZONE

Les obsèques de Papa Wemba hier à l’étape du Palais du peuple, n’ont pas été que rose. Bien au contraire. Elles ont connu une séquence qui a suscité moult interrogations. Après le dépôt de gerbes de fleurs, les différents invités ont, à tour de rôle, défilé devant les membres de famille restreinte du défunt, assis jusqu'à côté du cercueil couvert aux couleurs nationales. Après le passage des officiels, les artistes musiciens rd congolais se signalent au protocole d’Etat qui les invite collectivement. Le groupe est vite formé. En chœur, tous chantent "la vie est belle", chanson qui immortalise Papa Wemba dans le film court métrage réalisé avec Emoro, Kabibi, papa Mvwandu et autres. 

Aussitôt après, les artistes, en fil indienne, s’incline devant la bière contenant la dépouille du Roi de la Rumba, avant de saluer la veuve Wemba, Marie Rose Luzolo, très connue sous le surnom d’Amazone. En tête de groupe, Verckys Kiamwangana Mateta.

Derrière lui, Nyoka Longo. Et, juste au moment où le chef de file s’apprête à se diriger vers Maman Amazone, Verckys change soudain de direction pour laisser la place à Jossart Nyoka Longo qui prend ainsi la tête du peloton. Aucun problème. Nyoka Longo parle pendant quelques minutes avec Amazone et se retire. Et voici le coup de théâtre. A l’approche de Verckys qui devient le second de la rangée après Jossart Nyoka Longo, Mère Amazone qui avait jusque là les mains croisées, renvoie Verckys d’un seul geste de la main. Mais l’énervement a été beaucoup plus manifeste vis-à-vis de Tshala Mwana qu’Amazone a plusieurs fois indexée de la main.

Cette attitude de l’épouse du défunt n’a plus mis les autres musiciens en confiance. Craignant d’être rabroués à leur tour, ils n’ont plus pris le risque d’approcher la veuve Wemba, préférant la saluer à distance. Dans le lot, Mbilia Bel, Werrason et autres. Il aura fallu attendre la suite de la procession conduite par Djuna Djanana suivi de Reddy Amisi et tous les autres anciens musiciens de Viva La Musica, pour qu’Amazone tende à nouveau sa main à tous les autres artistes. Pourquoi cette sainte colère ? Personne ne saurait y répondre avec précision et exactitude au stade actuel des funérailles.

DU PALAIS DU PEUPLE AU VILLAGE MOLOKAI : UN ENGOUEMENT QUI RENSEIGNE SUR LE RESTE

En ce premier jour des obsèques de Papa Wemba, l’accès au Palais du peuple n’est pas libre. Seuls les invités y sont admis. La foule, elle, doit se contenter de l’étape du Village Molokaï à Matonge. Entre-temps, sur le Boulevard Triomphal, une foule compacte brave le soleil, et s’impatiente. L’effervescence est manifeste. Plus d’un millier de sympathisants de Papa Wemba, en babouches, attendent impatiemment de transporter le corps sur leurs épaules jusqu’au village Molokaï. 12h30. Le cortège, dans un élan pas pressé, sort de l’enclos du Palais du peuple pour Matonge. 

En un peu moins d’une heure, l’escorte franchit le Village Molokaï. Ici, adeptes de la Sape, "Zoulous" et autres, font parler d’eux. L’heure est donc aux hommages populaires. Pas de passage au départ de l’avenue Oshwe, pour ceux qui proviennent de Saint James Hall, la maison de Koffi Olomide. Pas non plus de parking. Bousculade. La foule est nombreuse. Sur l’avenue Kanda kanda, fief du Roi décédé, sont plantées des tentes multicolores aux couleurs d’une société brassicole. "Je n’en crois pas mes yeux", déclare M. Rinzo Kolly, président du staff "Mwalimu" du quartier Binza de la commune de Ngaliema.

"J’ai chanté avec Papa Wemba dans un single intitulé 'Le retour de la Sape' lors du décès de mon mari. Papa Wemba était venu lui rendre hommage à Brazzaville. Voilà qui justifie ma présence ici au Village Molokaï", a déclaré pour sa part, la veuve de la star Rapha Bounzeki du Congo-Brazzaville. "La mort n’est pas une injustice ni une fatalité. Quoi qu’il en soit, je ne dois pas rester insensible à la mort de Papa Wemba qui a éploré, non seulement la population congolaise mais aussi celles des pays africains", déclare M. Hamed Yala, sapeur habillé en Croco et Python. Après quelque deux heures de recueillement au village Molokaï, le cortège funèbre a repris le chemin du Palais du peuple pour la veillée mortuaire. Décédé dimanche le 24 avril, Papa Wemba sera inhumé demain mercredi le 04 mai au cimetière Nécropole entre Ciel et terre, dans la commune de la N’Sele.