Afrique
Élu sur un programme de rupture aux accents souverainistes, Bassirou Diomaye Faye a imprimé sa marque lors de sa première année à la tête de l’État sénégalais. En revanche, les promesses sur le plan socio-économique tardent à se concrétiser. Confronté à une grave crise des finances publiques, il doit composer avec la grogne des syndicats et un climat social tendu.
Son élection le 24 mars 2024 avait suscité une immense vague d'espoir dans un pays fracturé. Un an après sa large victoire, Bassirou Diomaye Faye est parvenu à appliquer partiellement son programme de rupture à travers une politique étrangère résolument africaniste et des gages en faveur d'une meilleure gouvernance des affaires publiques mais doit encore répondre à l'impatience des Sénégalais en matière d'emploi et de coût de la vie.
Loin de l'hyperprésident Macky Sall, l’ancien opposant cultive l'image d'un chef d'État sobre et discret laissant la lumière à son Premier ministre, Ousmane Sonko, dont la candidature à la présidentielle avait été invalidée, faisant de Bassirou Diomaye Faye le plan B du Pastef.
"Là où Ousmane Sonko est une boule de feu avec un tempérament impétueux, lui est beaucoup plus calme voire timide et incarne une forme de modération. Cela le rapproche du style d'Abdou Diouf, le deuxième président de la République, même si de manière générale les Sénégalais sont habitués à des présidents omnipotents", analyse le journaliste franco-béninois et maître de conférences à Sciences Po Francis Kpatindé.
"C'est également la première fois au Sénégal que le président n'est pas chef de parti. Je crois que Bassirou Diomaye Faye essaye de se positionner au-dessus de la mêlée et de ne pas être dans le jeu politique comme on l'a vu auparavant", souligne l'analyste Babacar Ndiaye, directeur de la recherche du think tank Wathi.
Ligne panafricaniste
Troquant régulièrement le costume occidental pour des tenues traditionnelles, Bassirou Diomaye Faye a mené au cours de ces douze derniers mois une diplomatie conforme à sa ligne panafricaniste et décoloniale, réservant dès le printemps 2024 ses premiers déplacements à ses voisins directs, la Mauritanie puis la Gambie.
Partisan d'une plus grande intégration sous-régionale, le président sénégalais s'est attaché à nouer des liens avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Mali, le Burkina Faso et le Niger, dirigés par des juntes militaires. Une stratégie qui a permis au Sénégal de se poser en arbitre dans le conflit qui oppose ces États à la Cédéao. En juillet, Bassirou Diomaye Faye a été nommé médiateur pour tenter de maintenir la cohésion de l'organisation ébranlée depuis 2020 par des putschs successifs.
Bassirou Diomaye Faye a dans le même temps pris ses distances avec la France, désormais traitée par Dakar à l'égal des autres partenaires étrangers. Là où son prédécesseur avait réservé son premier déplacement pour Paris, le nouveau président a visité neuf pays africains avant de se rendre à l'Élysée, le 20 juin 2024.
Fin novembre 2024, le Sénégal a annoncé mettre un terme aux accords de défense signés avec Paris. Après plus d’un siècle de présence militaire, les forces françaises devraient achever leur retrait d'ici la fin de l'été.
En revanche, le chantier complexe de la sortie du franc CFA, promesse phare du Pastef, reste conditionné à la création d'une nouvelle monnaie ouest-africaine et devra être coordonné avec les pays voisins.
Des indicateurs économiques "dans le rouge"
Candidat antisystème, populiste selon ses détracteurs, l'ancien inspecteur des impôts a également été élu sur la promesse d'une gestion plus transparente et vertueuse des finances publiques. Le nouveau pouvoir a ainsi lancé une soixantaine d’audits sur des secteurs clés comme les ressources minières, les infrastructures ou encore le bâtiment.
Sur le dossier de la pêche, très sensible au Sénégal, le gouvernement n'a pas reconduit l'accord signé avec l'UE au nom de la défense des pêcheurs traditionnels. Les autorités ont également commencé à s'attaquer à la problématique des chalutiers étrangers qui opèrent sous pavillon sénégalais et menacent, selon Dakar, les ressources halieutiques du pays.
"La question de la transparence a vraiment été un marqueur fort de ces premiers mois. Le président de la République a notamment décidé de rendre public son patrimoine. On peut aussi citer la mise en place d'un parquet financier pour traiter les cas de mauvaise gouvernance", explique Babacar Ndiaye.
Installé en septembre 2024, le Pool judiciaire financier (PJF) a indiqué en janvier avoir déjà traité 91 dossiers et permis la saisie de plus de 2,5 milliards de francs CFA (environ 3,8 millions d'euros) dans des affaires de corruption et de blanchiment de capitaux.
Sur le front de la modernisation de l'État, le nouvel exécutif a lancé fin février un vaste plan de transformation numérique. Objectif : atteindre 90 % de dématérialisation de l'administration et des services publics d'ici 2034. De grandes transformations nécessaires mais qui restent bien éloignées des préoccupations urgentes d'une large partie de la population confrontée à la vie chère et à un chômage dépassant les 20 %.
"Chaque année, nous avons 200 000 jeunes qui arrivent sur le marché de l'emploi. C'est une urgence à prendre en compte mais il faut aussi se projeter dans l'avenir car l'industrialisation et la question de l'emploi de masse ne se fait pas du jour au lendemain", souligne Babacar Ndiaye.
"Alors que les jeunes ont contribué à la victoire pleine et totale du Pastef, ils ne voient pas encore venir les dividendes de l'alternance. Tous les indicateurs sont actuellement dans le rouge et le Sénégal n'a jamais été aussi mal. Même si cela ne tient pas seulement à l'action de ceux qui sont à la tête de l'État, le gouvernement a tardé à dévoiler ses orientations en matière économique", estime Francis Kpatindé, qui met en cause une certaine forme d'amateurisme.
"Cela tient notamment au fait qu'une grande partie du gouvernement manque d'expérience. Il y a eu une forme de purge qui ne dit pas son nom dans l'administration et certains bons fonctionnaires ont été remplacés par des partisans du Pastef", affirme le journaliste pour expliquer ce retard à l'allumage.
L'annonce par le gouvernement, en juin dernier, de la baisse des prix des denrées alimentaires comme le riz, l’huile, le sucre et le pain a certes offert une bouffée d'oxygène bienvenue à de nombreux Sénégalaises et Sénégalais mais ces efforts restent insuffisants dans le contexte actuel.
Alerte sur la dette
Si la victoire écrasante du Pastef lors des législatives de novembre devait offrir au nouveau pouvoir une confortable marge de manœuvre pour "trouver des solutions contre la vie chère", l'état des finances publiques hérité de la précédente administration semble avoir changé la donne.
Selon un rapport de la Cour des comptes rendu public le 12 février, la dette sénégalaise représentait près de 100 % du PIB fin 2023 et le déficit budgétaire 12,3 %. Des chiffres bien plus élevés que ceux présentés par les anciennes autorités. Une falsification des comptes, selon le nouvel exécutif, qui dénonce les "mensonges" de Macky Sall et a promis de convoquer l'ancien chef de l'État devant la justice. Ce dernier a dénoncé un "procédé politique" et une forme de chasse aux sorcières.
"Il faut reconnaître qu'il y a une volonté de transparence et de reddition des comptes même si c'est un classique de la politique quand il y a une alternance de dire que les caisses sont vides", note Francis Kpatindé.
"La question de la transparence des comptes publics est une constante du discours du Pastef et, ici, il y a eu une volonté de mener un exercice de vérité qui a eu des conséquences notamment sur la baisse de la note du Sénégal auprès des agences de notation", fait valoir Babacar Ndiaye.
Avides de liquidités, les autorités à Dakar attendent désormais les conclusions du FMI après ces révélations sur l'état réel des finances publiques. L'institution a décidé de suspendre son précédent programme signé en juin 2023, d’un montant total d’1,8 milliard de dollars. En attendant, Dakar se retrouve piégé dans un cercle vicieux et doit emprunter auprès de créanciers privés à des taux bien plus élevés, aggravant la situation budgétaire.
Le Sénégal subit également les conséquences du gel des aides de l'USAID décidé par le président américain Donald Trump. Une suspension qui conduit à bloquer un programme d’électrification à plus de 500 millions de dollars en milieu rural.
Pour remédier à la situation, le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment annoncé une série de mesures de rationalisation des dépenses publiques, dont la diminution du train de vie de l'État et un audit de l'"effectif réel" de la fonction publique. Une "violente politique d’austérité", a estimé l’Alliance pour la République (APR), le parti fondé par Macky Sall.
Face à l'impatience des syndicats sur les dossiers de revalorisation salariale ou de la lutte contre les licenciements abusifs, l'exécutif reconnaît son impuissance. "Même si on avait trouvé le pays dans une situation stable, on aurait pas pu satisfaire toutes vos revendications, encore moins dans la situation actuelle", a expliqué Ousmane Sonko lors d'une rencontre à Dakar avec les représentants de différents syndicats, comme ceux de la santé, de l'éducation et des collectivités territoriales.
"Méthodes d'antan"
Attendu sur une réforme de la justice, une institution régulièrement accusée d'instrumentalisation par le pouvoir politique, le président Faye a tenu sa promesse après la remise en juillet des conclusions d'assises nationales. Le chef de l’État s’est dit prêt à adopter la plupart des recommandations proposées.
"On parle de la mise en place d'un juge des libertés pour mettre fin aux mandats de dépôt injustifiés et désengorger les prisons. Il y a aussi une loi attendue sur les lanceurs d'alerte qui fait écho à l'histoire du Pastef car Ousmane Sonko a lui-même été perçu comme un lanceur d'alerte dans l'administration", rappelle Babacar Ndiaye.
Le gouvernement a également tenu parole en commençant à indemniser les victimes des crises politico-judiciaires qui ont secoué le Sénégal entre 2021 et 2024. En revanche, la question de l'abrogation de la loi d'amnistie votée le 6 mars 2024 par Macky Sall reste en suspens. Ce texte empêche les poursuites à l'encontre de tous les crimes ou d'infractions liés aux "manifestations ou événements à caractère politique".
Si les efforts pour renforcer l'État de droit au Sénégal ont été une réalité au cours de cette première année, certains observateurs ont aussi noté le retour de vieux réflexes autoritaires, en particulier envers les médias.
"Il y a une vive intolérance vis-à-vis de la presse et une recrudescence des poursuites", assure Francis Kpatindé. "Plusieurs chaînes de télévision ont été contraintes de cesser d'émettre, officiellement pour des raisons fiscales. C'est étonnant car le pouvoir actuel avait promis d'élargir les droits de la presse."
Le 15 mars, l’opérateur TDS-SA a coupé le signal de 16 chaînes de télévision en raison d’arriérés de paiement. Un événement perçu par ces médias comme une volonté de museler la presse privée. Loin de la rupture annoncée par le nouveau pouvoir sénégalais, Francis Kpatindé constate au contraire dans ce domaine "un retour aux méthodes d'antan".
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Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye lors des célébrations du 60e anniversaire de l'indépendance de la Gambie, à Banjul, le 18 février 2025. © Muhamadou Bittaye, AFP