Bijouterie: et si on (re)découvrait le jade, cette gemme parée de mille vertus ?

Magnifiée durant l’art déco, la Jadéite cherche à séduire le Vieux Continent grâce aux créateurs chinois qui veulent, à l’instar de la marque Edaj, nous faire (re)découvrir cette gemme parée de mille vertus.

La jade néphrite et jadéite ont été prisées en Europe durant l’Art Déco. L’adjudication, pour 27,44 millions de dollars US en Avril 2014 du collier de Barbara Hutton, composé de 27 boules de jade jadéite « type A » provenant d’un seul bloc, attestait à la fois la valeur patrimoniale des créations Cartier mais aussi la prédilection du marché pour la jadéite du Myanmar.

Le jade est un continent joaillier à part entière. Un territoire créatif, géologique et culturel, plutôt méconnu des Occidentaux qui savent néanmoins que cette pierre dure et translucide connait – et depuis longtemps – un engouement très vif en Asie. Le mot lui-même nous est parvenu assez tard puisqu'il apparait en France pour la première fois dans le dictionnaire général en 1667. L'étude de son étymologie ne nous conduit pas en Chine mais en Espagne. Les Conquistadors avait prénommé « piedra de ijada » (c'est-à-dire la pierre de flanc) cette gemme de couleur verte à laquelle les précolombiens attribuaient le pouvoir de guérir les maux de reins. Cette « pierre d'éjade » utilisée par les Olméques d'Amérique Centrale pour façonner des instruments d'adoration avant d'être accaparée par les Mayas puis les Aztèques était-elle identique à cette pierre de yu, vénérée par les chinois depuis plusieurs millénaires et observée par Marco Polo en 1272 dans la ville de Hotan sur la fameuse Route de la Soie ? Oui et non. Leurs apparences et leurs propriétés sont certes semblables, mais leurs origines et leurs compositions différent largement.

Car il y a jade et jade, ce mot n’étant lui-même qu’un terme générique désignant plusieurs familles de minéraux. « Culturellement, le jade est étroitement associé à l’Asie et notamment à la Chine où il va rester jusqu’à aujourd’hui la matière la plus précieuse » indique Léonard Pouy, Historien de l’Art et Professeur à l’Ecole des Arts Joailliers. L’établissement soutenu par Van Cleef & Arpels propose un cours dédié à l’histoire de la pierre à travers les âges. « Les plus anciennes pièces sculptées en Jade par les chinois datent de 8000 ans avant notre ère » souligne la gemmologue Marie-Laure Cassius-Duranton. « On l’utilisait pour faire des armes, des objets de culte, on le retrouvait dans les sépultures de l’élite, on le chargeait de symbole selon sa couleur : la ceinture de l’empereur était en jade blanc, celle des princes en jade vert, celle des préfets en jade bleu. C’est en résumé la gemme talismanique par excellence qui assure le bonheur, la prospérité, repousse le mauvais sort et attire la chance, assure la protection des puissants et garantit les beaux mariages. » Signalons que cette matière résistante et tenace autorisa très tôt l’épanouissement de remarquables techniques de façonnage, qui excluaient cependant le facettage pour privilégier le polissage.

« L'appellation Jade regroupe deux types de pierres différentes : la néphrite -qui existe du blanc au noir en passant par une riche palette de vert- et la jadéite qui se décline dans toutes les couleurs » précise Léonard Pouy. La gemme découverte par les espagnols en Amérique Centrale appartient à cette deuxième catégorique qui doit précisément son nom scientifique aux vertus supposées de la pierre : « nephros » signifiant rein en grec. Plus dure, plus dense, plus rare, la jadéite est également considérée comme étant – beaucoup- plus précieuse. Le scientifique français Alexis Damour lui a donné son nom définitif en 1863 ; les chinois quant à eux la surnomment « fei-ts'ouei yu » qui signifie jade de martin-pêcheur, la jadéite « péchée » dans les rivières ayant toujours été préférée à celle des mines. Longtemps considérés comme le nec plus ultra, les jades blancs du Turkestan furent condamnés à l'oubli lorsque les jades verts de Birmanie inondèrent le marché chinois à partir du XVIIIème siècle.

Néphrite et Jadéite ont, durant deux décennies qui correspondent à l'apogée de l'Art Déco, fait les délices des maisons européennes. Cartier notamment, mis à contribution ces deux minéraux dans la fabrication de bijoux, ceintures, cendriers, nécessaires, coupe-papier, pendulettes, flacons, boites à poudre qui soulèvent encore aujourd'hui l'enthousiasme des collectionneurs. L'adjudication, pour 27,44 millions de dollars US en Avril 2014 du collier de Barbara Hutton, composé de 27 boules de jade jadéite « type A » provenant d'un seul bloc, attestait à la fois la valeur patrimoniale des créations de la rue de la Paix mais aussi la haute estime des connaisseurs pour la jadéite du Myanmar. « C'est aujourd'hui encore la gemme la plus prisée du marché » confirme Marie-Laure Cassius-Duranton. « On qualifie sa couleur de vert impérial : un vert pur avec des translucidités extraordinaires. »

Cette vogue de la jadéite pourrait de nouveau s'épanouir en Europe, cette fois ci par le prisme des créateurs chinois. Wallace Chan a en effet choisi à plusieurs reprises la Biennale des Antiquaires pour révéler aux parisiens éblouis l'étendue de sa virtuosité tandis que Christie's organisait l'année dernière à Genève la plus grande exposition jamais consacrée en Europe au maitre joaillier. Parmi les pieces iconiques de l'artiste hongkongais qui a par ailleurs mis au point une innovante technique de gravure du jade, brevetée en 2002 : une sculpture-broche en jadéite impériale figurant une cigale qui repose sur une feuille de bambou. Le motif n'a pas été choisi par hasard : en Chine, l'amulette en jade représentant une cigale symbolise la résurrection. Habituée aux records de vente, Anna Hu doit elle aussi son statut d'artiste contemporaine joaillière chinoise de premier plan à son aptitude à conjuguer le meilleur de l'Orient et de l'Occident. Présenté chez Christie's en 2020, son collier Sky Tower fait converger vers une admirable plaque de jadéite gravée, des lignes essentielles inspirées par la célèbre tour de verre dessin Nouvel.

Sans viser les biennales, les créations de la maison Edaj ont elles-aussi l'ambition de sortir la jadéite du marché chinois. La créatrice Asura Cen sollicite les traditions asiatiques ancestrales (absence de facettages, importance du polissage, principe du ying et du yang) et la maestria des ateliers londoniens pour élaborer des pendentifs, bagues, boucles d'oreilles qui mettent à l'honneur des jadéites birmanes dont les irrégularités et autres bigarrures de formation, loin d'être gommées, sont au contraire célébrées. Une ode à l'aspérité. Par souci d'écoresponsabilité (les mines birmanes sont sujettes à de nombreux accidents), la marque garantit que sa sélection a été guidée par des experts qui ont sélectionné et sourcé avec soin des pierres anciennes, inexploitées à ce jour et transportées en Chine dans les années 90. Diamants certifiés et or 18 carats recyclé parachèvent cette volonté. La sobriété des dessins (développant des fils d'or, des étoiles miniatures et des rubans graphiques qui ressemblent à des cages) met agréablement en relief la force tellurique de la gemme. « La jadéite a une importance culturelle significative en Asie. La tradition a valorisé son élégance tandis que son aspect a souvent été associé à des notions de tranquillité, de réserve et de pureté. C'est par excellence, la pierre de bon augure. La beauté du jade -dont les motifs peuvent rivaliser avec les plus beaux tableaux et dont les couleurs deviennent plus vibrantes au fil des années au contact de la peau de son propriétaire – manifeste l'aspiration à une vie meilleure. » Une définition convaincante du luxe contemporain.