Quand un gastro-entérologue découvre une mouche, une mite ou une autre bestiole, intacte dans le côlon du patient

C’est l’histoire d’un homme de 63 ans adressé pour une coloscopie par son médecin traitant. Avant de réaliser cet examen d’endoscopie digestive qui permet, grâce à un endoscope souple, de visualiser la totalité de la muqueuse colique, le patient s’est vu prescrire une préparation colique, comme c’est toujours le cas, afin que différentes parties de l’intestin soient parfaitement propres, sans aucune matière fécale.

La qualité de la préparation colique est un facteur conditionnant l’efficacité diagnostique et thérapeutique de la coloscopie. En effet, une mauvaise préparation peut conduire à rater des lésions, à prolonger la procédure, et à réaliser des coloscopies répétées à intervalles plus rapprochés.

Le patient a eu une préparation de qualité dont le score a été coté à 6 sur l’échelle de Boston (BBPS pour Boston Bowel Preparation Scale), autant dire que la coloscopie a eu lieu dans de très bonnes conditions pour le gastro-entérologue. Celui-ci a pu examiner, à l’aide d’une sonde appelée coloscope, la totalité de la muqueuse colique dans la mesure où il ne restait que quelques résidus solides et liquides dans les trois régions du gros intestin (côlon ascendant, côlon transverse, côlon gauche intégrant le rectum).

Chez ce patient, la coloscopie révèle une diverticulose colique et des hémorroïdes. Il présente par ailleurs cinq polypes dans le côlon qui sont retirés par le gastro-entérologue.

^{Sharma N, et al. Am J Gastroenterol. 2023 Oct 1;118(10):1731.}

C’est alors que le gastroentérologue fait une découverte surprenante. Il constate la présence d’une mouche dans la partie terminale du côlon transverse, qui relie le côlon droit au côlon gauche. L’insecte ne bouge pas, même lorsque l’opérateur manipule le coloscope.

Interrogé par l’équipe médicale, le patient ignore comment une mouche a pu se retrouver dans son côlon. La veille de la coloscopie, il indique n’avoir avalé que des bouillons clairs, comme cela lui avait été notifié. L’avant-veille au soir, il a mangé une pizza avec de la salade, et n’a pas le souvenir d’avoir observé une mouche dans son assiette.

Pour les médecins de la faculté de médecine de l’université du Missouri (Columbia) qui ont rapporté cette déconcertante trouvaille en octobre 2023 dans The American Journal of Gastroenterology, le mystère reste entier quant à savoir « comment une mouche intacte a trouvé son chemin jusque dans le côlon transverse ».

Il est possible, sinon probable, qu’une mouche est entrée dans la cavité buccale du patient lorsque celui-ci dormait, la bouche ouverte, et qu’il a tout bonnement dégluti et avalé l’insecte, sans le savoir. Mais cela n’explique pas pourquoi l’insecte n’a pas été entièrement dégradé par les enzymes présentes dans l’estomac et dans l’appareil digestif supérieur. D’un autre côté, si j’ose dire, il est difficile d’imaginer que la mouche soit parvenue jusqu’au côlon transverse en passant par l’anus du patient.

Ce n’est pas la première fois que l’on découvre un insecte intact dans les entrailles du patient lors d’une coloscopie.

Une mite dans le côlon

^{Patel BB, et al. ACG Case Rep J. 2014 Apr 4;1(3):119-21.}

En 2014, des médecins américains ont rapporté dans l’American College of Gastroenterology Case Reports Journal la découverte, lors d’une coloscopie de routine, d’un insecte ailé sans vie entre les plis du côlon transverse chez un homme de 55 ans. L’insecte avait une longueur cranio-caudale d’environ 6 mm et une envergure de 12 mm. Un entomologiste a identifié la bestiole. Il s’agissait d’une mite appartenant à l’ordre des Lépidoptères.

En 2010, des médecins internistes et gastro-entérologues américains (Philadelphie) ont découvert, lors de la coloscopie d’une femme de 52 ans, un insecte dans le côlon transverse. Il a été saisi et envoyé pour identification dans un laboratoire d’entomologie.

Le corps de la bestiole était composé de trois segments (tête, thorax, abdomen). Les données morphologiques de l’insecte indiquent qu’il s’agit sans doute d’une nymphe de Blattella germanica (également connue sous le nom de blatte germanique). Il s’agit du cafard le plus courant, présent en particulier à proximité des habitations humaines. La patiente avait une infestation de cafards à son domicile. On peut donc imaginer qu’elle en a ingéré un par inadvertance, avec de la nourriture. L’exosquelette (ou cuticule) de la blatte était probablement résistant à l’action des enzymes de l’appareil digestif humain.

Un cas similaire de découverte dans le côlon transverse d’une blatte germanique chez une femme de 55 ans a été rapporté, également en 2010, par des gastro-entérologues britanniques dans la revue Endoscopy.

Une fourmi malchanceuse

^{Boardman CR, et al. Gastrointest Endosc. 2009 Dec;70(6):1245-6.}

En 2009, des médecins américains ont rapporté dans la revue Gastrointestinal Endoscopy le cas d’un homme de 66 ans chez lequel un petit corps étranger a été découvert dans le côlon descendant, à 45 cm de la marge anale. Il s’agissait d’une fourmi intacte et morte.

Le patient a révélé que deux jours avant l’endoscopie, il avait participé à un pique-nique familial dans un parc au bord d’une rivière et avait consommé plusieurs assiettes de salade de pommes de terre et d’ailes de poulet. Il est probable que ces aliments aient servi de vecteur à une malheureuse fourmi.

Ingestion volontaire de charançons chinois

^{Khosla M, et al. Am J Gastroenterol. 2016 Nov;111(11):1514.}

En 2016, des médecins américains (Phoenix, Arizona) ont observé de curieux objets en forme de perles le long de la muqueuse colique d’une patiente hispanique de 50 ans lors d’une coloscopie de dépistage. Une inspection plus approfondie montre alors la présence d’insectes morts occupant son côlon, du cæcum au côlon ascendant.

La patiente déclare avoir ingéré des gorgojos chinos, un type d’insecte coléoptère appartenant à la famille des Curculionidae. Plus connu sous le nom de charançon chinois, ce ravageur a la fâcheuse tendance à s’inviter et se développer dans les paquets de farine.

Ingérer des charançons chinois est une pratique qui semble être une tradition au sein de la population hispanique, indiquent les médecins qui ont rapporté ce cas clinique dans The American Journal of Gastroenterology. La croyance populaire veut que lorsque ces insectes meurent dans l’estomac, ils sécrètent une enzyme permettant de renforcer le système immunitaire contre diverses maladies.

La croyance en cette thérapie alternative tient au fait qu’elle serait utile dans la lutte contre de très nombreuses pathologies, telles que tout type de cancer, le sida, l’asthme, le psoriasis, le diabète, le vitiligo, des maladies chroniques de la peau, l’arthrite, la maladie de Parkinson et la dépression. Il n’existe évidemment aucune preuve d’une telle affirmation dans la littérature médicale. Des études in vitro ont même montré que des extraits de ces insectes peuvent provoquer une destruction cellulaire et des lésions de l’ADN. Rien ne justifie donc d’utiliser cette médecine alternative qui ne repose sur aucune base scientifique.

Toujours en 2016, des gastro-entérologues italiens ont rapporté le cas d’un homme de 70 ans adressé pour coloscopie après qu’un test de dépistage ait détecté la présence de sang occulte (non visible à l’œil nu) dans ses selles. Lors de l’examen, les médecins ont eu la surprise de découvrir un insecte ailé, mort et intact, dans le côlon sigmoïde, (dernière portion du côlon qui relie le côlon gauche au rectum).

L’interrogatoire du patient a révélé qu’il avait consommé les jours précédant la coloscopie une grande quantité de raisins lors de vendanges. L’insecte a donc très probablement été avalé accidentellement en mangeant. Selon les auteurs, « l’ingestion accidentelle d’insectes pourrait présenter une prévalence beaucoup plus élevée qu’on ne le croit généralement, la grande majorité des insectes avalés accidentellement passant par le système gastro-intestinal sans incident ».

En 2015, des gastro-entérologues mexicains ont découvert de nombreux insectes morts ressemblant à de petites blattes lors de la coloscopie de dépistage chez un homme de 70 ans.

Ces insectes appartenaient à l’espèce Ulomoides dermestoides, plus connue sous le nom de coléoptère de l’arachide ou de charançon chinois. Les médecins ont observé des formes larvaires et adultes, ajoutant que « certains insectes adultes n’étaient pas digérés et semblaient être vivants ».

Le patient a reconnu par la suite avoir consommé ces insectes dans le cadre d’une médecine alternative consistant en la consommation de charançons chinois vivants sur une période de plus de quatre mois et demi (140 jours).