Politique
Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la République démocratique du Congo a été le théâtre de conflits armés récurrents, témoins des tensions politiques, des luttes d’influence régionales et des convoitises économiques autour de ses ressources naturelles. Des sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï aux guerres du Shaba, des rébellions Mulelisites aux conflits actuels impliquant le M23, retour sur ces moments charnières de l’histoire de la RDC.
Juillet 1960, la mutinerie de la Force publique et l’intervention belge
La crise politique et militaire qui a éclaté en juillet 1960 en RDC trouve ses origines dans les frustrations liées à la composition du gouvernement du Premier ministre Patrice Lumumba, juste après l’indépendance de la Belgique. Deux grandes figures politiques, Albert Kalonji (originaire de la région du Kasaï dans le centre du pays) et Jean Bolikango (originaire de la région de l'Équateur dans le nord-ouest), se sont retrouvées écartées, alimentant un sentiment d’exclusion parmi leurs partisans. Cela a contribué à un mécontentement au sein de l'armée congolaise, la Force publique, dont les soldats, parmi lesquels des originaires du Kasaï et de l’Équateur, se sont mutinés le 4 juillet 1960.
Cette mutinerie a également été alimentée par la présence persistante des officiers belges dans l’armée congolaise après l’indépendance. La tension monte, notamment lorsque le général belge Émile Janssens affirme devant les militaires réunis lors d’une parade : « L’indépendance ne change rien pour la Force publique, la situation reste la même qu’avant. » Les relations s’enveniment surtout quand les forces belges stationnées à Kamina, dans l’ancienne province du Katanga, au sud-est de la RDC, et Kitona, dans la province du Kongo central, au sud-est du pays, interviennent sans l’accord du Premier ministre Lumumba, désarmant les militaires congolais le 10 juillet à Élisabethville (Lubumbashi), au sud-est de la RDC. Cette ingérence belge entraîne une rupture des relations diplomatiques entre la RDC et la Belgique, ce qui précipite le départ massif des fonctionnaires, professeurs et magistrats belges, aggravant la crise institutionnelle.
Juillet-août 1960, les sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï, premières fractures de l’indépendance congolaise
Le lendemain de la mutinerie, le Katanga fait sécession sous la direction de Moïse Tshombe, indépendantiste et premier ministre du Congo-Kinshasa, de juillet 1964 à octobre 1965. Cette province, riche en ressources minières, bénéficie du soutien de l’Union minière du Haut-Katanga et de la présence militaire belge. L’absence de réaction militaire permet au Katanga de consolider son autonomie. Cette sécession marque également le début d’une série de crises liées au contrôle des ressources naturelles dans la région. Quelques semaines après, le Sud-Kasaï suit le même chemin. Albert Kalonji proclame l’indépendance de cette région, qui abrite d’importantes exploitations minières. Comme au Katanga, l’autorité du gouvernement central est contestée et affaiblie. Cette sécession entraîne des affrontements entre l’armée congolaise et les forces séparatistes. La guerre qui s’ensuit cause d’importants déplacements de population.
Novembre 1963 : rebellions Mulelistes
En 1961, après l’assassinat de Lumumba, le Conclave dit de Lovanium est organisé pour réunir les forces politiques et former un gouvernement d’union nationale sous la direction de Cyrille Adoula.
Parmi les mécontents figure Pierre Mulele, fervent partisan de Patrice Lumumba, qui, après un exil au Moyen-Orient, se rend en Chine pour y être formé à la guérilla. De retour au pays, il lance une rébellion en juillet 1963 dans l’ouest du Congo. Parallèlement, à Brazzaville, des lumumbistes en exil, sous la direction de Christophe Gbenye, créent le Conseil national de libération (CNL). Leur objectif est d’ouvrir un second front dans l’est du pays. Laurent-Désiré Kabila et Gaston Soumialot sont envoyés à partir de Bujumbura, capitale du Burundi pour y organiser une insurrection armée.
Les rebelles adoptent aussi des techniques de guerre inspirées de Mulele, notamment la croyance en l'invulnérabilité aux balles, renforcée par des pratiques mystico-religieuses et l’usage de psychotropes. Ce phénomène popularise le concept «Maï-Maï», un terme dérivé du lingala « maï » (eau), reflétant la conviction que les balles ne pouvaient pas les atteindre. Des villes comme Uvira, à 120 kilomètres de Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu dans l’est de la RDC, tombent sous contrôle rebelle, poussant l’Occident à intervenir. En novembre 1964, des bombardements intensifs sont menés contre les positions rebelles, et la capture d’expatriés sert de prétexte à l’organisation d’une opération militaire. Le 24 novembre 1964, les parachutistes belges sont largués sur Kisangani sous couvert de la libération des otages étrangers. Après l’échec du mouvement, les principaux leaders partent en exil, sauf Laurent-Désiré Kabila, qui choisit de rester dans l'est du pays. Il fonde un petit noyau de résistance, le Parti de la Révolution Populaire (PRP), qui restera actif pendant plusieurs décennies et servira plus tard de base au mouvement qui le portera au pouvoir en 1997.
Avril 1965, Che Guevara au Congo
Ernesto Che Guevara voulait étendre la révolution en Afrique, convaincu qu’elle devait être universelle. Il envisageait plusieurs pays comme le Mozambique, l’Angola et le Congo-Brazzaville, mais son choix s’est porté sur la RDC après, dit-il, l’intervention brutale de la CIA à Kisangani. Dans ses mémoires, il explique que cette ingérence révélait l'importance stratégique du pays dans la lutte contre l’impérialisme en Afrique. Lorsqu’il arrive en RDC, la rébellion est déjà affaiblie. Il tente de rejoindre Pierre Mulele, mais sans succès. Finalement, il trouve refuge avec une centaine de combattants cubains auprès de Laurent-Désiré Kabila, dont la rébellion est encore active. « Cependant, Kabila, soutenu par l’URSS, se méfie de Che Guevara, qui bénéficie d’un appui chinois, en raison des tensions entre Moscou et Pékin », explique l’historien Isidore Ndaywel è Nziem. En 1965, après une décision de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), au sommet de Dakar, demandant le départ des mercenaires étrangers d’Afrique, le président tanzanien Julius Nyerere en profite pour expulser les Cubains, empêchant Guevara de poursuivre son combat au Congo. Il quitte le territoire congolais peu avant le 24 novembre 1965, juste avant la prise effective de pouvoir de Mobutu.
Mars 1977, la guerre de 80 jours
La guerre de 80 jours est une rébellion menée par d’anciens gendarmes katangais, aussi appelés « Tigres », qui avaient trouvé refuge en Angola après l’échec de la sécession du Katanga en 1963. Ces combattants, d’abord soutenus par Moïse Tshombe lorsqu’il devient Premier ministre en 1964, se retrouvent marginalisés après le coup d’État de Mobutu en 1965. Chassés à nouveau, ils retournent en Angola, où ils s’engagent dans la guerre d’indépendance aux côtés du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) d’Agostinho Neto, opposé aux forces pro-occidentales du FNLA (Front national de libération de l’Angola) et de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), soutenues par les troupes zaïroises de Mobutu. Lorsque le MPLA prend le pouvoir en Angola en 1975, la présence des Tigres devient problématique. Pour éviter des tensions internes, Neto leur propose d’aller combattre Mobutu au Zaïre. Ainsi, les Tigres fondent le Front national de libération du Congo (FNLC) et lancent en 1977 une offensive contre le Zaïre, connue sous le nom de guerre de 80 jours. Sous la direction de Nathanaël Mbumba, les rebelles envahissent la région du Shaba (ex-Katanga) et menacent de renverser Mobutu. Cependant, leur progression est stoppée grâce à l’intervention des troupes marocaines, venues en aide aux Forces armées zaïroises. L’assaut est repoussé, mettant fin à cette tentative de reconquête du pouvoir.
Mai 1978, la guerre du Shaba et la bataille de Kolwezi
La guerre du Shaba fait référence à la seconde tentative de reconquête du Katanga (Shaba) par les Tigres katangais en 1978, un an après l’échec de la guerre de 80 jours en 1977. Cette fois-ci, les rebelles, venant de Zambie, parviennent à s’emparer de Kolwezi, une ville stratégique en raison de son importance minière.
Face à cette menace, le président français Valéry Giscard d’Estaing accepte une demande d’aide de Mobutu. Il envoie alors la Légion étrangère, qui est larguée sur Kolwezi dans le cadre de l’opération Bonite, également connue sous le nom d’opération Léopard. Cette intervention rapide permet de reprendre le contrôle de la ville et de repousser les assaillants. À noter que pendant cette période, Laurent-Désiré Kabila avait approché Nathanaël Mbumba, chef du mouvement rebelle, pour une alliance dans cette offensive, mais ce dernier refuse. Après l’échec de la guerre du Shaba, Kabila lance ses propres offensives en 1982-1983, connues sous le nom de guerres de Moba, dans les régions de Moba et Kalemie. Toutefois, ces tentatives se soldent par un échec encore plus marqué que les précédentes offensives menées par les Tigres katangais.
Mai 1997, la chute de Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila
Le renversement de Mobutu en 1997 par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dirigée par Laurent-Désiré Kabila, marque un tournant dans l’histoire du pays. Soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, cette rébellion met fin à l’ère du Zaïre et rétablit le nom de République démocratique du Congo. Cependant, l’accession de Kabila au pouvoir ouvre rapidement la voie à de nouvelles tensions, car cette guerre repose sur des agendas multiples.
Le premier agenda est celui du Rwanda, qui cherche à poursuivre et éliminer les Forces armées rwandaises, vaincues après le génocide de 1994 et réfugiées sur le territoire congolais. « Pour justifier son intervention au-delà de ses frontières, Kigali utilise l’AFDL comme couverture congolaise, facilitée par le soutien du président tanzanien Julius Nyerere, qui connaissait Kabila de longue date », explique Isidore Ndaywel è Nziem.
Le deuxième agenda est propre à Laurent-Désiré Kabila lui-même. Écarté de la Conférence nationale souveraine dans les années 1990 pour des doutes sur sa nationalité, il nourrit un ressentiment envers ce processus de transition. Estimant que ce dialogue politique ne parviendra pas à déboulonner Mobutu, il décide de prendre le pouvoir par la force.
Le troisième agenda est économique et commercial. « Dès le début de la rébellion, des multinationales s’impliquent dans le conflit, négociant avec Kabila des contrats miniers en échange d’un soutien logistique. Ce réseau facilite les déplacements stratégiques de l’AFDL, notamment entre Goma et Lubumbashi », explique Isidore Ndaywel è Nziem. Cependant, ces intérêts divergents finissent par fragiliser Kabila une fois au pouvoir. Le 17 mai 1997, à Lubumbashi, il se proclame chef de l’État, une décision qui ne faisait pas forcément consensus parmi ses alliés.
1998, le RCD et le MLC, une guerre sous influence rwando-ougandaise
En juillet 1998, la rupture entre Laurent-Désiré Kabila et ses alliés rwandais marque un tournant. Le président congolais ordonne le départ des troupes rwandaises et ougandaises, une décision perçue comme une trahison par Kigali et Kampala. Ce revirement précipite l’escalade du conflit, opposant désormais Kabila, soutenu par l’Angola, la Namibie et le Zimbabwe, aux rébellions financées par ses anciens parrains. Ce basculement stratégique s’accompagne d’un discours souverainiste, résumé par la phrase restée célèbre de Kabila : « Ne jamais trahir le Congo. »
Dans ce contexte, la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) voit le jour. Soutenu par le Rwanda, le mouvement s’installe à Goma, d’où il contrôle une grande partie de l’est de la RDC. Pendant plusieurs années, le RCD administre la région, établissant un contrôle militaire sur les zones minières. Parallèlement, en 1998, une autre rébellion, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba et appuyé par l’Ouganda, prend le contrôle du nord de la RDC.
En 2002, après la signature de l’accord de Sun City, le RCD et le MLC mettent officiellement fin à la lutte armée et deviennent des partis politiques.
2006, CNDP, comme héritage du RCD
En juillet 2006, d’anciens cadres du RCD, mécontents des accords de Sun City et du processus d’intégration militaire, fondent le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) sous la direction de Laurent Nkunda. Basé dans le massif du Ruwenzori et du Nyiragongo, au Nord-Kivu, le CNDP expulse l’administration congolaise de plusieurs territoires.
Des négociations sont engagées lors de la conférence de Goma en 2008, mais le CNDP refuse d’être traité comme un simple groupe armé et exige un dialogue direct avec le gouvernement, affirmant notamment représenter une population spécifique dans une logique ethno-politique. Finalement, un accord est signé le 23 mars 2009. Le CNDP est transformé en parti politique et ses combattants sont intégrés dans l’armée congolaise via un processus de «mixage ».
2012 - 2013, le M23 comme rejeton du CNDP
Malgré l’intégration officielle du CNDP dans l’armée, une faction rebelle émerge en novembre 2012 sous le nom de Mouvement du 23 mars (M23), dirigé par Sultani Makenga et soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, selon les rapports onusiens. Cette nouvelle rébellion accuse Kinshasa de ne pas avoir respecté les accords du 23 mars 2009.
Le 20 novembre 2012, le M23 prend la ville de Goma, mais face à la pression de la communauté internationale, il accepte de se retirer après la signature des accords du 22 février 2013. Ceux-ci prévoient la création d’un mécanisme national de suivi pour garantir la mise en œuvre des engagements du gouvernement.
De 2022 à aujourd’hui, l’AFC/M23 : une résurgence dans un nouveau contexte géopolitique
Le 13 juin 2022, une nouvelle insurrection du M23 débute sous une autre appellation, l’Alliance du Fleuve Congo (AFC/M23). Cette rébellion survient alors que les relations entre la RDC et le Rwanda se détériorent, notamment en raison de la rivalité entre le Rwanda et l’Ouganda pour le contrôle des routes commerciales dans la région.
À cela s’ajoute une dimension politique interne, notamment avec l’implication de Corneille Nangaa, ancien président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Ces rébellions successives illustrent un schéma récurrent en RDC, où des groupes armés, initialement soutenus par des puissances étrangères, finissent par se fragmenter et renaître sous différentes formes. Chaque cycle est marqué par une combinaison d’agendas militaires, économiques et politiques, où le contrôle des ressources minières, les rivalités régionales et les tensions internes jouent un rôle central.
Les raisons d'une instabilité permanente
Les violences en RDC suivent une évolution marquée par deux grandes périodes distinctes, mais interconnectées. De 1960 à 1994, elles sont principalement liées à des crises internes. La décolonisation s’est accompagnée de profondes instabilités, notamment avec la mutinerie de la Force publique en 1960, marquant le début des troubles militaires. Le pays peine alors à trouver un équilibre et un mode d’organisation qui correspondent à son espace national. Cette période est caractérisée par un déficit démocratique, à l’origine de plusieurs violences armées et de conflits politiques qui jalonnent l’histoire du pays jusqu’au départ du président Mobutu Sese Seko en 1996.
L’instabilité découle en grande partie de l’échec de la construction d’un État unifié et du manque d’institutions solides capables de gérer les tensions internes. À partir de 1996, une nouvelle dynamique de conflits émerge, marquée par l’intervention d’acteurs extérieurs. Selon l’historien Isidore Ndaywel è Nziem, les rébellions qui surgissent alors sont commandées de l’extérieur, poursuivant deux agendas distincts, mais interconnectés. « Le premier est démographique : des pays voisins confrontés à une forte pression démographique, chercheraient à relocaliser certaines populations vers l’est de la RDC, notamment les rives gauches des Grands Lacs », dit l’auteur de Histoire générale du Congo : de l'héritage ancien à la République démocratique.
Le second agenda, qui semble être le moteur principal de cette nouvelle phase, concerne l’exploitation des ressources naturelles, ajoute-t-il. Jusque dans les années 1980, le Kivu était perçu avant tout comme une région agro-pastorale, souvent surnommée la « Suisse d’Afrique » en raison de son climat agréable et de ses paysages propices au tourisme. Ce n’est qu’avec la médiatisation de la présence de minerais stratégiques que la région devient un enjeu économique majeur. Cette nouvelle donne coïncide avec la fin de la Guerre froide et une reconfiguration des intérêts internationaux dans la région, poursuit Isidore Ndaywel è Nziem.
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