Kigali brouille le ciel de l’Est congolais avec le high-tech luxembourgeois

Les appareils sophistiqués que le Rwanda utilise pour brouiller la navigation aérienne dans l’est de la RDC lui auraient été fournis par le Luxembourg. Le Grand-duché est le dernier pays européen avoir signé un accord bilatéral de service aérien ( BASA). Xavier Bettel, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères qui a opposé, fin février 2025, son veto contre des sanctions prises par l’UE face au Rwanda, était Premier ministre et ministre d’État en juin 2022 quand il s’est rendu à Kigali pour signer un chapelet d’accords politique et économique avec Paul Kagame.

Six mois avant l’assaut des forces spéciales rwandaises sur la ville de Goma, la RVA a accusé le Rwanda de brouillage et d’usurpation d’identité (« spoofing »), touchant les zones de vol « du Nord-Kivu autour de la capitale provinciale Goma », incluant Beni, Butembo, Kibumba et Kanyabayonga. Faits attestés notamment par la Monusco et le Programme alimentaire mondial, qui gère le Service aérien humanitaire des Nations unies (UNHAS).

« Le Service aérien des Nations unies, a-t-il rapporté le 30 juillet 2024, a dû annuler plusieurs de ses vols vers Goma, Beni et Bunia. Il y a eu de nombreuses perturbations au niveau du GPS, ce qui a empêché les avions de fonctionner normalement. Cela a eu des conséquences sur le retard de plusieurs activités du personnel humanitaire en raison des annulations de vols ». Le Luxembourg y serait pour beaucoup.

« On suppose que des intérêts économiques potentiels pourraient jouer un rôle dans la position ambiguë du Luxembourg, la province du Nord-Kivu étant réputée riche en terres rares », soutient Sebastian Weier, » responsable du plaidoyer politique au sein du Cercle luxembourgeois de coopération des ONG. Il a expliqué au micro de RTL (l’équivalent de CNN au Benelux) que l’utilisation du veto contre cette résolution est choquante, mais aussi peu surprenante, étant donné la position ambiguë de Xavier Bettel sur le conflit en RDC lors d’un débat parlementaire sur la politique de coopération luxembourgeoise. La position ambivalente de M. Bettel est vivement critiquée et jugée » inacceptable.

La Gauche (déi Lénk) et le député Sven Clement (Pirates) lient le veto du Luxembourg aux intérêts économiques du pays au Rwanda. Outre la livraison des matériels de navigation aérienne au Rwanda, une quinzaine de firmes luxembourgeoises membres de la Chambre de commerce du Grand-Duché et opérant principalement dans les secteurs TIC, Infrastructures et Écotechnologies ont signé des contrats avec Kigali, il y a un peu plus de 5 ans. Par ailleurs, House of Training / ATTF ( Fonds d’Investissement, fiscalité, informatique, entrepreneuriat & gestion d’entreprise…) est active au Rwanda dans le cadre de la coopération avec l’Association des banquiers du Rwanda et Rwanda Finance Limited depuis six ans.

Le 7 juin 2022, Xavier Bettel, alors Premier ministre, avait effectué une visite officielle à Kigali au Rwanda sur invitation du président Paul Kagame. « Notre rencontre et mon séjour à Kigali au sens large est une bonne occasion de donner un nouvel élan au développement des excellentes relations entre nos pays, notamment en mettant l’accent sur le domaine économique, les TIC et les secteurs financiers innovants. De ce fait, nous espérons aujourd’hui ouvrir un nouveau chapitre dans nos relations », avait assuré Xavier Bettel.

Hier chef du gouvernement, aujourd’hui, ministre des Affaires étrangères de Luxembourg, M. Bettel s’emploie, urbi et orbi, à préserver ses relations et les deals convenus avec Paul Kagame. Bettel a, d’ailleurs, minimisé, selon la presse du Grand duché, le blocage des sanctions contre le Rwanda. Le ministre des Affaires étrangères réfute ces accusations, estimant qu’il y a encore des questions qui restent en suspens. Le chef de la diplomatie luxembourgeoise a justifié son veto mardi par les négociations en cours entre les ministres africains des Affaires étrangères, dont l’issue pourrait être contrariée si des sanctions étaient prises immédiatement, tout en s’engageant à soutenir pleinement les sanctions. Il a suggéré d’attendre le résultat des négociations avant de décider d’un paquet de sanctions. Xavier Bettel le sait, sans doute, que les négociations dont il fait allusion ne rencontrent guère l’assentiment de tous les protagonistes et devrait sans doute tirer en longueur. La facilitation tricéphale composée des anciens présidents Uhuru Kenyatta du Kenya, Olusegun Obasanjo du Nigéria, et l’ex-Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalengn mise en place par la SADC et l’EAC, suscite déjà des suspicions et des présomptions d’agendas cachés.

La Communauté de développement de l’Afrique australe regarderait le président du Kenya et président en exercice de la Communauté d’Afrique de l’Est -EAC-, William Ruto, en chien de faïence. En attendant, l’histoire retiendra que deux États lilliputiens se sont ligués pour dépouiller, de ses richesses, le mastodonte congolais, 2.345. 410 Km2, plus de 100 millions d’habitants. Il s’agit, d’une part, du Luxembourg, avec ses 680,453 habitants (estimation mars 2025) est de loin moins peuplé que la commune de Masina, est d’une superficie de 2 586 km², soit quatre fois plus petit que la ville de Kinshasa et 907 fois plus petit que la RDC. Et d’autre part, le Rwanda, 26 338 km² et 14 469 334 habitants (estimation du 9 mars 2025).