Afrique
La guerre par procuration que le Rwanda livre à la République Démocratique du Congo et le Rwanda est en train d’être passée sous scanner. Sur le papier, de l’avis de plusieurs analystes approchés le 2 février dernier par Radio France, le rapport de forces est plus que déséquilibré. Avec une superficie de 26 000 km², le Rwanda est 90 fois plus petit que sa grande voisine, la République démocratique du Congo. C’est encore vrai s’agissant des ressources militaires, même si l’écart se resserre : 33 000 soldats côté rwandais, 134 000 côtés République Démocratique du Congo. Derrière le M23, le Rwanda a cependant réussi à occuper Bunagana en juin 2022 puis, plus de deux ans après, Goma.
Les causes du face-à-face ? Le M23 assure vouloir protéger les populations tutsies de la République Démocratique du Congo des exactions commises à leur encontre par les anciens génocidaires hutus réfugiés dans l’ex-Zaïre. Ils reprochent par ailleurs au gouvernement de Kinshasa de ne pas avoir respecté un accord visant à les réintégrer dans l’armée régulière. Ils reçoivent un appui actif de Kigali, reconnu par plusieurs rapports de l’ONU.
De leur côté, les autorités de Kinshasa accusent les rebelles et leur parrain rwandais de vouloir faire main basse sur les richesses du Nord-Kivu, du pays, à la fois les minerais et les ressources forestières, particulièrement abondants. Ces derniers jours, les langues se délient en Europe. Marine Le Pen vient d’incriminer l’Union européenne pour le recel des minerais rares pillés en République Démocratique du Congo par le Rwanda. « Si l’Union européenne était si attachée à l’éthique, elle arrêterait d’être le receleur du pillage qu’effectue le Rwanda à l’égard de la République Démocratique du Congo. Le Rwanda pille les matières premières qui sont souvent rares, qui appartiennent aux Congolais, et les revend à l’Union européenne depuis février 2024, et l’Union européenne ferme les yeux », charge la cheffe des députés du Rassemblement National à l’Assemblée nationale française.
À la demande de l’euro député français Thierry Mariani, le Parlement européen convoque un huis clos le 18 février 2025 sur l’accord UE-Rwanda « qui transforme l’UE en receleur des minerais critiques pillés en RDC, au prix de milliers de morts». Il y a quelques mois, l’Union européenne a conclu avec le Rwanda un mémorandum d’entente pour la chaine de valeur des minerais stratégiques. Sauf que le Rwanda ne possède quasi aucune des ressources concernées par l’accord. Ceux qui crient au recel n’exagèrent donc pas. Et ça, c'est pour le côté économique.
Jean-François Colosimo essayiste, directeur des éditions du Cerf, donne pour sa part une explication géostratégique à cette farouche opposition armée.
« Le M23 n’existerait pas sans le Rwanda. On sait que c’est un mouvement qui réussit, parce qu’il est surarmé par le Rwanda, qu’il dispose d’un encadrement hyper sophistiqué. On a plus affaire à une milice relevant de Kigali qu’à un mouvement populaire spontané qui se serait d’un coup déclaré sécessionniste », dit-il.
Puis : « Au Rwanda, on a un homme solitaire qui exerce en fait un régime autoritaire, un régime répressif, un régime policier et un régime prétorien. Le Rwanda se promet d’être en quelque sorte un gendarme disponible pour établir l’ordre. Des fois, cela arrange la communauté internationale dans le cas du Mozambique. Des fois, cela arrange un peu moins la communauté internationale, par exemple, dans le cas de la République Centrafrique en 2020. Et des fois, c’est vraiment de l’ingérence avec des buts de prédation territoriale, économique, et avec un fort ressort, malgré tout, ethnicisant, comme au Kivu. On peut avoir été opprimé, on peut avoir été décimé, et on peut ensuite être oppresseur. Et le Rwanda, c’est aussi un pays qui se propose de faire du gardiennage pour le Royaume-Uni, qui expédierait ses migrants. Et pour le Danemark aussi ».
Puis encore : « Aujourd’hui, le Rwanda est particulièrement soutenu par la Russie, par la Turquie. La Chine a d’autres intérêts, parce qu’il y a tout le problème des minerais qui servent aux composants du Kivu. Et peut-être le Qatar aussi. Ces nouveaux pays qui entendent aujourd’hui dépecer l’Afrique trouvent, dans les ambitions propres au Rwanda, un puissant levier dans une RDC qui est dans un état de chaos profond, avec probablement des centaines de groupes armés qui découpent le territoire, avec des problèmes économiques gravissimes, mais qui, dans le Kivu, en raison du M23, subit des actions, des massacres et des viols ».
Jusqu’à présent, la guerre menée contre la République Démocratique du Congo, caractérisée par les pillages des minerais critiques revendus aux multinationales occidentales et l’inaction presque complice de la Communauté internationale, tournait économiquement à l’avantage du Rwanda.
La chaude alerte de Bloomberg
Selon un article du site « géoconfluences » mis en ligne en avril 2024, « avec une croissance toujours supérieure à 4 % par an depuis le génocide -sauf en 2020 avec la crise sanitaire- et atteignant même 10,9 % en 2021, le Rwanda a vu son PIB par habitant presque quadrupler depuis 1995, et un article de 2022 le classe parmi les « émergents en essor » au même titre que le Vietnam -Bouron et al., 2022. Son insertion dans la mondialisation va croissante, via ses exportations agricoles -thé, café-, son attractivité touristique, l’accueil d’investissements directs étrangers dans cet îlot de stabilité au climat propice aux affaires, ou les investissements de ses entreprises à l’étranger ».
Selon la Banque mondiale, « le Rwanda aspire à devenir une économie à revenu intermédiaire en 2035, et à rejoindre les pays à revenu élevé à l’horizon 2050. Son économie a continué d’afficher une solide croissance au premier semestre 2024. La croissance annuelle du produit intérieur brut -PIB- réel s’est ainsi accélérée à 9,7 % au premier semestre 2024, contre une moyenne de 8,2 % en 2022-2023. Le Rwanda devrait poursuivre sur sa lancée en 2025-2026, avec des projections de croissance de 7,7 % en moyenne, à la faveur de la reprise du tourisme mondial, de nouveaux projets de construction et de l’activité manufacturière ».
Presque tous avaient le sentiment que ce conflit rapporte davantage au Rwanda qu’il ne lui coûte. Mais les derniers développements de la guerre sous-traitée par le M23 renvoient déjà de mauvais signaux pour Kigali. Dans un article publié le 11 février, l’agence américaine « Bloomberg » alerte: le Rwanda risque de subir un contrecoup économique en raison de son soutien aux rebelles qui sévissent dans l’Est de la République Démocratique du Congo voisine. L’agence pense aussi qu’une éventuelle perte de l’aide concessionnelle ralentirait la croissance du Rwanda, déjà lourdement endettée.
La semaine dernière, le Fonds monétaire international -FMI- et S&P Global Ratings ont tiré la sonnette d’alarme sur le coût financier d’une crise prolongée pour le pays lourdement endetté, tandis que les principaux donateurs, dont le Royaume-Uni, ont mis en garde contre les menaces qui pèsent sur plus d’un milliard de dollars d’aide.
« Une crise prolongée est susceptible d’entraîner des pertes humanitaires et économiques importantes, des pressions budgétaires et des retards dans le financement du développement », a déclaré le FMI la semaine dernière à des questions envoyées par courrier électronique.
Bloomberg rapporte aussi que « les 620 millions de dollars d’euro-obligations du Rwanda à échéance 2031 ont chuté de 2,2% pour atteindre un plus de 81,9 cents le dollar dans la semaine qui a suivi l’entrée des combattants du M23 à Goma… Elles ont depuis récupéré une partie de leurs pertes pour s’échanger autour de 83,4 cents à 8h44 à Londres ».
Puis : « Le pays d’Afrique de l’Est a dû compter sur les financements confessionnels et les financements des donateurs pour couvrir un déficit budgétaire constamment élevé, qui a dépassé les objectifs du FMI visant à atteindre 6,9% du produit intérieur brut au cours de l’exercice budgétaire se terminant en juin 2024. La dette publique du Rwanda a explosé ces dernières années, le prêteur basé à Washington la voyant atteindre 80% du PIB cette année -un niveau qui le plaçait dans un risque modéré de surendettement extérieur avant même les menaces de réduction de l’aide. Avec les rebelles du M23 -que les Nations Unies affirment avoir le soutien des troupes rwandaises pour s’emparer et tenir des zones, notamment la ville de Goma-, cela accroît les pressions financières ».
Selon un communiqué de S&P publié la semaine dernière, « le Rwanda est plus exposé aux risques découlant de la perte des financements concessionnels et des donateurs, ce qui entraînerait une forte baisse des dépenses d’investissement ». Un beau décor pour asséner un contrecoup économique au Rwanda.
Voilà qui risque de mettre Kagame en difficulté. Un tel revers se paierait cash. Parce que toutes les grandes capitales, notamment Washington, Moscou, Bruxelles-UE, Londres, Doha et Pékin sont citées dans le coup par différents analystes, à Kinshasa de savoir jouer diplomatiquement, les pays n’ayant que leurs intérêts, d’améliorer la gouvernance, de bien s’organiser militairement et d’imposer le bon tempo si les responsables politiques locaux tiennent vraiment à asphyxier Kigali et lui infliger une défaite militaire une fois pour toutes.
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