L’œuvre de Hergé toujours aussi admirée 40 ans après sa mort

Le 3 mars 1983, le monde de la BD perdait l’un de ses plus nobles ambassadeurs : Hergé, le père de Tintin, est décédé à l’âge de 75 ans à la clinique Saint-Luc de Bruxelles, des suites d’une longue maladie. La Belgique, terre fertile de la bande dessinée, voit partir l’un de ses plus fidèles représentants qui a propulsé la bande dessinée au firmament du 9e art.

Depuis 1929 et la publication des premières planches de Tintin au Pays des Soviets, alors en noir et blanc, les générations se sont succédé en découvrant le monde et une partie de l’histoire contemporaine grâce aux péripéties du célèbre reporter bruxellois. Qui aurait un jour pu imaginer le destin flamboyant de Georges Remi, alias Hergé, né un 22 mai en 1907 à Etterbeek ?

Au début des années '20 du siècle passé, Hergé, dit "Renard curieux" chez les scouts, offre ses premiers dessins dans les revues de scoutisme "Jamais assez" puis le "Boy-Scout belge". A partir de 1925, date de son entrée (au service abonnement dans un premier temps) au journal le "Vingtième siècle", la carrière de Hergé va véritablement débuter et prendre un essor considérable. Après la création de Totor CP des Hannetons en 1926 et de divers personnages, Tintin, un jeune reporter bruxellois, fera sa première apparition dans le "Petit vingtième" (supplément du Vingtième siècle) le 10 janvier 1929 : Tintin au Pays des Soviets lance l’épopée mythique de l’univers de Tintin. Dans la foulée, les célèbres ketjes de Bruxelles sont immortalisés par les premières aventures de Quick et Flupke en 1930.

Le succès de Tintin est immédiat et populaire. Après la Russie soviétique, Tintin s’envole pour le Congo belge (Tintin au Congo, 1931), l’Amérique capitaliste en crise (Tintin en Amérique, 1932), le Moyen-Orient et l’Inde (Les cigares du pharaon, 1934) ou encore la Chine ancestrale occupée par le Japon et morcelée par les concessions occidentales (Le Lotus bleu, 1936). Ce dernier album sera directement inspiré par la rencontre de Hergé avec un jeune étudiant chinois Tchang Tchong-Jen dont il perdra la trace pendant plusieurs décennies et qu’il retrouvera à Bruxelles en 1981.

Durant les années 30, Hergé va produire une kyrielle d’albums où son héros, Tintin, va parcourir le monde, de l’Asie à l’Europe de l’Est, en rencontrant des personnages qui le suivront tout au long des 23 aventures. Dès 1934, la maison Casterman édite les aventures de Tintin en format BD. Aujourd’hui, c’est toujours elle qui publie les albums. Et la machine est loin de s’enrayer. Des Soviets aux Picaros, Tintin a été vendu à près de 260 millions d’albums à travers le monde, selon les derniers chiffres fournis par l’éditeur. Tous les titres de la série se vendent encore à près de 4 millions d’exemplaires chaque année.

Les périples du jeune journaliste ont été traduits en plus de 130 langues aussi courantes que l’anglais ou l’espagnol et singulières que l’hébreu ou le breton. Dans le monde francophone, entre 500.000 et un million d’exemplaires sont écoulés annuellement. Avant la Deuxième Guerre mondiale, Hergé produit encore plusieurs albums : l’Oreille cassée, L’Ile Noire, le Sceptre d’Ottokar et le Pays de l’Or noir. Parallèlement aux aventures de Tintin, Hergé lance cinq aventures de Jo, Zette et Jocko qui seront dans un premier temps publiées dans l’hebdomadaire français "Coeurs Vaillants".

Durant la Guerre, Hergé poursuit son œuvre en publiant dans le "Soir jeunesse", supplément du journal "Le Soir", cinq nouvelles aventures de Tintin. Le fait d’avoir écrit dans un journal aux mains de l’occupant allemand aura de fâcheuses conséquences pour Hergé, suspecté d’avoir collaboré.

A la libération, blanchi des soupçons de collaboration, il poursuit inlassablement son œuvre en adaptant notamment les albums de Tintin aux nouvelles normes de son éditeur (62 pages en couleur). En 1946, le premier numéro du "Journal Tintin" sort de presse, une collaboration avec Raymond Leblanc qui fonde par la même occasion les éditions du Lombard. L’hebdo "des jeunes de 7 à 77 ans" lancera de futures grosses pointures de la bande dessinée. Les années 50 seront marquées par la création des studios Hergé et la parution de nouvelles aventures.

Après 23 albums, Hergé décède le 3 mars 1983. Trois ans plus tard, l’Alph-Art, album inachevé du maître, est publié à titre posthume. Hergé avait bien insisté pour que son héros de cases ne lui survive pas. Ce souhait a jusqu’ici été scrupuleusement respecté par les ayants droit gérant l’œuvre de l’auteur : Fanny Vlamynck, seconde épouse de Hergé, qui après une dizaine d’années de veuvage, se marie avec le Britannique Nick Rodwell. Le couple est à la tête de Tintinimaginatio, anciennement société Moulinsart, qui veille sur tout l’héritage artistique laissé par Georges Remy.

Si la renommée de Tintin a largement dépassé les frontières, c’est bien au nom de Hergé qu’un musée a ouvert ses portes en 2009 à Louvain-la-Neuve. Plus de 80 planches originales, 800 photos, documents et objets divers ont été rassemblés dans un édifice imaginé par l’architecte français Christian de Portzamparc. Près de 100.000 visiteurs déambulent dans le musée chaque année.

Mais d’autres pièces de l’artiste restent en circulation ailleurs dans le monde. Son héritage peut d’ailleurs aussi être mesuré aux prix affolants auxquels part le moindre croquis de Hergé lors d’enchères consacrées à la bande dessinée. Ainsi, en 2021, un dessin pour la couverture de l’album de Tintin Le Lotus bleu a été adjugé à 2,6 millions d’euros (hors frais), un montant record pour le domaine de la bande dessinée.

Tintin, lui, continue de séduire les nouvelles générations et pas uniquement dans le format classique de la BD : produits dérivés, dessins animés, théâtre ou encore cinéma, comme en 2011 avec Le Secret de la Licorne, de Steven Spielberg. Un succès réel, au point d’investir le virtuel puisque le héros de papier a récemment fait ses premiers pas dans le monde des NFT (Non-Fungible-Token)…