Consommation de chanvre à Kinshasa : le foisonnement des points de vente et d’achat interpelle

Un groupe de jeunes réuni sous un manguier divise entre eux. Il se passe une sorte de baguette d’une main à l’autre : c’est une cigarette ? A peu près. Sauf que, la leur c’est comme un rite. On déroule une boule, les herbes sèches et les graines sont pressées à la main. Et puis, on les enroule dans une feuille pour lui donner la forme d’une cigarette. Il ne reste qu’à l’allumer juste comme une mèche. On se le passe à tour de rôle lorsqu’il s’agit d’un groupe d’amis. Pendant qu’on fume, un autre prépare le suivant, le rite est le même.

Dans la lutte contre le banditisme urbain communément appelé « kuluna », deux éléments reviennent comme un leitmotiv : l’alcool et le chanvre indien. Les quartiers où règne ce phénomène sont les milieux où la consommation du chanvre et l’alcool se répand à une vitesse exponentielle. Ils ne s’isolent plus. Ils fument au vu et au su de tout le monde.

Dans un espace qui comprend les grands quartiers où règne le banditisme comme Malolo et Djaga dans le quartier Kemi, commune de Lemba, Il existe une cinquantaine de points bien identifiables de vente et de consommation de chanvre. A longueur de journée, des jeunes gens essentiellement se réunissent à ces endroits pour prendre une ou plusieurs tiges quotidiennes. A Makala, Malala et Mfidi, Mabulu I et Mabulu II. A Ngaba, il faut citer les quartiers Bulabemba, Mukulwa et Baobab, cela est très fréquent.

Selon Matumbu, un fonctionnaire habitant Malolo, l’Etat est dépassé par cette situation à laquelle des jeunes gens se livrent à longueur de journée à fumer du chanvre. A l’époque, un fumeur de cannabis se cachait. Les jeunes gens aujourd’hui se livrent en spectacle, ils s’exposent même.

Les parents ne dénoncent pas. « Nous en avons ras-le-bol », déclare Tonny qui parle d’une certaine complicité entre certains agents de l’ordre et ces jeunes gens. Pour lui, chaque fois qu’on va dénoncer ce comportement à un poste de police, les résultats ne se font pas attendre. Car, après la traque policière, ces fumeurs de chanvre disparaissent. Mais, pour un temps relativement court. Car, ces inciviques finissent par récidiver. Le groupe réapparait tout en proférant parfois des menaces ouvertes contre les voisins, sans les citer. Les insinuations sont tellement claires qu’on n’ose pas les regarder en face. La conséquence c’est la peur. Ce n’est pas qu’on ne dénonce pas, seulement, on a peur des représailles. Un voisin, continue-t-il, a dénoncé un groupe de fumeurs de chanvre. Ils ont fini par couper un de ses enfants avec une machette. Pour Martin, on soudoie les éléments de la police qui deviennent de plus en plus inefficace dans la traque de fumeurs du chanvre et dans la lutte pour la destruction des coins des fumeurs de chanvre.

Pourtant, au sous-ciat de Mfidi, deux brigadiers en chef ont reconnu tous deux que détenir du chanvre, le vendre ou le fumer en groupe ou seul constituent une infraction. Mais, souvent cela dépend de l’appréciation de l’OPJ qui détient le dossier. Il peut obliger le fumeur de payer une amende et/ou l’envoyer en prison.

Pour Tshilanda, une jeune femme qui frise la quarantaine, l’Etat doit prendre des mesures importantes et les appliquer rigoureusement pour protéger des jeunes de la catastrophe. Car, pour elle, fumer du chanvre et la délinquance juvénile vont de pair. Abondant dans le même sens, Mme Pauline, inspectrice à l’EPSP, épingle le chômage qu’elle considère comme le soubassement de cet incivisme ambiant dans des quartiers populaires de la ville. Il suffit de lutter contre le chômage, et chasser le phénomène deviendra possible. Mais selon d’autres interlocuteurs, il n’y a pas que des jeunes désœuvrés qui y viennent, des motocyclistes communément appelés « wewa », des taximen, des étudiants.

Toujours est-il que, comme témoigne Ruffin, pasteur dans une église de réveil, ce sont les jeunes sans emploi qui sont le plus enclins à venir à ces endroits et à y demeurer le plus longtemps possible. De fil en aiguille, il nous revient que ces repaires des fumeurs de chanvre sont aussi des endroits de prédilection pour les inciviques et autres malfrats.

Est-ce possible d’éradiquer ce phénomène ? « Bien sûr » répondent les deux brigadiers presque en chœur. Il le faut, ajoute un autre. Avec une bonne décision politique, cela peut aboutir bien plus, il faut aller à la source, c’est-à-dire, s’attaquer à ceux qui cultivent le chanvre et les commerçants qui amènent le produit à Kinshasa.