Interviews
Général Mukobo (G.M.) : Lors de l'éclatement de
la deuxième guerre de MOBA en 1984, appelée MOBA II, je fus désigné
commandant des opérations. A la fin des opérations qui ont mis
fin à la rébellion qui durait depuis plusieurs années dans
la région du lac Tanganyika, je fus nommé Chef d'Etat-Major de
la Force Terrestre des FAZ (Forces Armées Zaïroises). L'année
avant cette nomination, je reçus une invitation du Chef d'Etat-Major
de la Force Terrestre belge pour un voyage d'études au sein de l'Armée
belge. Cette invitation n'avait pu être honorée à cause
de la guerre de MOBA II, mais, elle fut réitérée en 1986.
C'est ainsi qu'en juin 1986 je me suis rendu en Belgique pour un séjour
d'études. J'étais accompagné de deux officiers supérieurs
des FAZ. Lors de mon séjour, le Haut Commandement belge me remit, pour
la Force Terrestre Zaïroise, un lot de matériel militaire au profit
de l'Ecole de sous-lieutenance de la Base de KITONA, située dans la Région
du Bas-Zaîre (actuel Bas-Congo). Il s'agissait de vieilles armes (A/FN
.30), des mortiers 120 mm, quelques équipements du génie et de
transmissions qui n'étaient plus utilisés dans l'Armée
belge et dont la plupart datait d'avant la seconde guerre mondiale. A mon retour
au pays, je fis un rapport et l'adressa à qui de droit. Quelques mois
plus tard, un premier lot de ce matériel arriva et fut stocké
aux dépôts de l'Etat-major de la Force Terrestre. Les armes et
les munitions arrivèrent par bateau ( le M/V Fabiola) lors du voyage
officiel du ministre belge de la défense Monsieur François-Xavier
de Donnea. A l'arrivée de ce second lot de matériel, qui fut également
acheminé à l'Etat-major des Forces Terrestres, une machination
fut montée contre ma personne. La machination me coûta une relégation
à Isangi (Province Orientale).
mediacongo.net (MCN) : Quelle était la machination en question ?
G.M. : D'abord, il y a lieu de reconnaître qu'un climat de suspicion
régnait au sein des FAZ depuis le fameux coup des " terroristes
" de 1978 qui coûta la vie à plusieurs officiers, entraînant
l'épuration de l'armée des officiers originaires de Régions
considérées comme suspectes.
Les officiers appartenant à ces régions étaient traqués
et très étroitement surveillés. L'arrivée des armes
(le second lot) fut l'occasion rêvée pour certains officiers généraux
zaïrois, exerçant les plus hautes fonctions dans la hiérarchie
militaire, de fomenter leur coup en m'accusant de vouloir monter un coup d'état.
En fait Il circulait une rumeur sur l'imminence de ma nomination à un
poste stratégique des FAZ (chef d'Etat-Major Général des
FAZ ou Secrétaire d'Etat à la Défense Nationale), ce qui
indisposa non seulement les responsables occupant ces fonctions, mais aussi
les officiers hauts gradés, originaires des (deux) régions "
élues " qui ne pouvaient tolérer qu'un officier général
d'une autre région exerce ces fonctions. Et pourtant personne n'ignorait
qu'il s'agissait de vieilles camelotes abandonnées depuis des décennies
dans les armées européennes et destinées à la destruction.
Mais ces camelotes pouvaient servir dans les FAZ qui accusaient une carence
totale en matériel d'instruction. Dans certains camps d'instruction,
le soldat ou l'officier en formation devait faire appel à ses fibres
vocales pour simuler le tir d'un fusil.
MCN : Mais même s'il s'agissait de vieilles armes ? N'existe-t-il pas
des mécanismes, des accords entre Etats en pareil cas ?
G.M. : Certainement . mais dans le cas d'espèce, il s'agissait
d'un don que le Chef d'Etat-Major de la Force Terrestre belge faisait à
son homologue dans le cadre des relations amicales qui existaient entre les
deux armées. Ce matériel n'était pas accordé au
général Mukobo en tant un individu, de plus, le Chef d'Etat-Major
de la Force Terrestre belge n'avait pas agi sans le consentement de ses supérieurs.
Il avait eu l'avale du Chef d'Etat-Major Général et du Ministre
de la Défense Nationale belge. Quand je suis arrivé au pays, j'ai
fait un rapport avec la liste détaillée du matériel que
j'ai adressé au Secrétaire d'Etat à la Défense Nationale
et au Chef d'Etat-Major Général des FAZ. Il n'était donc
pas question d'une affaire traitée en coulisse, tout était fait
par voie officielle.
Certains officiers espéraient qu'une fois l'affaire arrivée aux
oreilles du Maréchal, celui-ci déciderait ou plutôt ordonnerait
ma traduction en cour militaire dont ils avaient la direction. Ainsi, la cour
militaire allait siéger en cour martiale et me condamnerait à
mort. La sentence prononcée, l'exécution expéditive ferait
le reste. Malheureusement pour eux, le Président Mobutu exigea une enquête
qui se solda par un non- lieu. Mais, je fus tout de même relégué
à l'intérieur du pays, loin de Kinshasa. Il a fallu attendre la
chute du mur de Berlin et la vague des démocraties en Afrique pour que
je recouvre la liberté après quatre années e relégation
à Isangi dans la Région du Haut-Zaïre (Province orientale).
Mon retour dans la vie normale avait coïncidé avec l'organisation
de la Conférence Nationale Souveraine du Zaïre. Je fus également
réhabilité et je pris part à la Conférence, tout
en restant militaire sous la surveillance de l'Etat-Major SARM (Service d'Action
et des Renseignements Militaires). C'est ainsi que quelques mois après
les pillages de septembre 1991, j'ai été nommé commandant
de la 7ème Région Militaire dont l'Etat-Major se trouvait à
Mbandaka.
MCN : Vous venez de parler des pillages. Peut-on savoir quel rôle
ont joué les FAZ dans ce chaos ?
G.M. : Ce sont les militaires qui ont orchestré les pillages. Les
pillages étaient le résultat de la misère du soldat zaïrois
qui ne pouvait plus nouer les deux bouts du mois avec son maigre solde (pour
peu qu'il soit payé).
Le fait le plus important à épingler est que depuis des années
déjà, les FAZ n'étaient plus une armée au sens propre
du terme. Sans entrer dans les détails, les FAZ étaient devenues
une institution à vocation sociale où on trouvait des militaires
dont les enfants et les petits enfants s'enrôlaient comme soldats. L'entraînement
et l'instruction du militaire ne se faisaient plus. Les hauts responsables militaires
se consacraient au commerce et à dénigrer les officiers qui essayaient
de donner un sens au métier du soldat.
L'équipement faisait totalement défaut. Les bataillons ne disposaient
plus de véhicules. Les armes, dont la plus part étaient celles
de la Force Publique étaient disparates ; les militaires restaient des
années sans effectuer des tirs. Certaines unités des FAZ étaient
commandées par des officiers sans formation d'officiers. Ces officiers
ont été catapultés au sommet de la hiérarchie militaire
pour occuper des fonctions qu'ils ne méritaient pas, n'ayant par reçu
la formation et n'ayant non plus pas l'expérience nécessaire.
Dans cette bouillabaisse, si vous permettez l'expression, la confusion régnait
à tous les échelons.
Pour répondre à la question posée, il est clair qu'aucun
officier n'a joué un rôle, ou plutôt n'a pris l'initiative
de stopper les pillages. Dès le déclenchement des pillages, les
officiers se sont terrés chez eux. D'ailleurs aucun officier ne pouvait
prendre le risque de se retrouver au milieu des militaires qui pillaient. Parce
que, déjà, le commandement n'était plus homogène.
Les militaires n'obéissaient qu'aux chefs de leurs unités respectives.
Je me suis retrouvé seul dans les cohues et la panique qui régnaient
dans la ville. J'ai failli laisser ma peau dans ces pillages parce les militaires
interpellés me menaçaient avec leurs armes alors que je n'en possédais
pas, par principe personnel devant les situations difficiles. Les pillages ont
pris fin parce que les militaires s'étant servis sont rentrés
dans leurs casernes et laisser la place aux civils.
Aucune action n'était envisagée par la hiérarchie militaire.
Tout est rentré dans l'ordre spontanément sans aucune intervention
de l'autorité de tutelle. Personnellement, j'ai pris l'initiative de
demander au Ministre de la Défense nationale de sonner l'alerte dans
les camps afin que les militaires en vadrouille regagnent leurs casernes. Le
Ministre a jugé l'initiative pertinente mais pas de sa compétence
: " il faut l'accord du chef de l'Etat " dit-il. Une preuve de plus
pour montrer qu'aucun chef militaire n'avait le commandement sur les troupes.
Chacun devait se référer au Commandant Suprême des FAZ.
L'armée avait atteint un tel degré de désorganisation qu'il
n'y avait plus d'unité de commandement qui constitue pourtant le fondement
de toute armée digne de ce nom.
MCN : Sans entrer dans les détails, oublions les tracasseries de la vie courante, comment expliquez-vous la débâcle des FAZ devant les troupes de l'AFDL ? Vous avez été surnommé "Niama na etumba" et vous étiez au sommet de nos forces armées !
G.M. : La réponse à cette question n'exige pas une connaissance
approfondie de l'armée. Elle se trouve dans l'adage cher aux hommes en
uniforme qui dit :" Qui veut la paix, prépare la guerre. "
Paraphrasant le généralissime Carl von Clausewitz, nous avons
dit que la guerre est une continuation de la politique sur le théâtre
opérationnel lorsque la diplomatie et la politique ont échoué,
avec d'autres moyens, c'est-à-dire les armes.
Dans le cas de notre beau et cher pays le Zaïre, aujourd'hui Congo, la
politique incarnait déjà le mal dans la gestion de l'Etat. Tous
les pouvoirs étaient concentrés dans les mains d'un seul homme,
le Président-Fondateur du MPR et Président de la République.
Toute initiative individuelle était étouffée dans l'uf,
à telle enseigne que personne ne pouvait, que ce soit dans l'administration,
dans les sociétés étatiques ou dans l'armée, affronter
le Léopard de peur de se faire dévorer.
A tous les échelons, les différents responsables politiques, administratifs
et militaires devaient se contenter de dire "OUI" et courber l'échine
devant le monarque et ses valets. La débâcle des FAZ, était
due à la crise générale des valeurs que connaissait le
pays. Cette situation se caractérisait dans la recherche constante du
moindre effort, du confort et des plaisirs matériels, en d'autres termes,
dans l'embourgeoisement des officiers, spécialement des officiers généraux.
Cette situation n'était pas de nature à faciliter la formation
de meneurs d'hommes.
Au moment de l'attaque des forces rebelles orchestrées par une "
grande puissance internationale ", les FAZ n'étaient plus que leur
propre ombre. La multiplication de niveaux de commandement avait enrayé
toute velléité, tout esprit de combat chez le soldat zaïrois
qui n'avait qu'un seul objectif : survivre.
Les chefs militaires n'avaient plus l'autorité sur leurs militaires.
Les unités militaires ne l'étaient que de noms. Soyons plus pratique.
L'unité de manuvre de toute armée est le bataillon. Les
effectifs d'un bataillon varient entre 800 et 1000 hommes selon les pays ou
le type d'unités. Le bataillon de char a moins d'hommes que le bataillon
d'infanterie ; le bataillon para commando a plus d'hommes que le bataillon d'infanterie.
Les accros de l'art militaire peuvent le justifier. Un bataillon au sein des
FAZ n'avait pas plus de trois cents hommes de troupes. Bien que sur papier ces
chiffres étaient gonflés pour raison de fraude sur les soldes.
Au moment où les troupes de l'AFDL (la coalition rwando-ougandaise, appuyée
par des forces d'une grande puissance) ont envahi le pays dans la Région
de Kivu, il y avait à Goma un amalgame d'unités des FAZ : il y
avait des compagnies de la DSP(Division Spéciale Présidentielle),
des unités para commando, de la gendarmerie, de la force terrestre, de
la garde civile, etc.
Chaque élément dépendait de son commandant installé
à Kinshasa. Il n'y avait pas d'unité de commandement, ni d'officier
supérieur ou général chargé de coordonner les opérations.
Et même si cet officier pouvait être désigné, personne
n'allait lui obéir. Aucun officier responsable de ces différents
détachements n'aurait obtempéré à ses ordres. Chacun
attendait les instructions et les ordres de bataille de son chef de Kinshasa.
Pour mémoire, je citerai l'exemple d'un détachement d'artillerie
de la DSP dont le commandant a refusé de tirer sur les troupes ennemies
et qui a été anéanties par l'artillerie adverse.
La défaite des FAZ doit avant tout être attribuée aux responsables
militaires qui ont laissé l'armée dans la déconfiture la
plus criante et aussi aux hommes politiques qui ont joué un rôle
néfaste en accordant à certains officiers les qualités
guerrières que ces officiers ne possédaient pas. Le soldat congolais
était reconnu comme un bon soldat. Pendant la première guerre
mondiale, les troupes congolaises ont emporté plusieurs victoires (TABORA,
MAHENGE,
).
Elles ont été également auréolées de gloire
pendant la seconde guerre mondiale (ASSOSA, ..). Elles de loin capables de battre
les "Kadogo" (les soldats de l'AFDL). Mais, comme a déclaré
un stratège de l'art militaire : " il n'y a pas de mauvaises troupes,
mais de mauvais chefs militaires ".
Le Commandant Suprême des FAZ s'est référé plusieurs
fois à cet adage, mais il n'a rien fait pour redresser le niveau de l'officier
zaïrois. Au contraire, il nommait au grade supérieur des officiers
médiocres qui assumaient de hautes responsabilités. Pourquoi n'ai
- je pas quitté les FAZ dès le déclenchement de la guerre
contre le Zaïre ? Une seule réponse : je suis resté fidèle
à mon serment d'officier formé. Je ne servais pas le Maréchal,
mais le Président de la République. Personne n'ignore que quand
le militaire est nommé sous-lieutenant, il prête serment de fidélité
au Chef de l'Etat (Roi ou Président) suivant le type d'Etat.
Devant la percée foudroyante des forces ennemies, il ne restait qu'une
solution aux FAZ : organiser la défense derrière les obstacles
naturels, comme sur la rivière Poso entre Goma et Kisangani ou derrière
le fleuve Zaïre à Kisangani et Kindu. Mais cela n'était pas
possible puisque les têtes pensantes de l'armée n'avaient pas (ou
plus) les notions élémentaires de combat défensif. La chute
de Kisangani et de Kindu a donc sonné les glas pour les FAZ. La guerre
était perdue !
Toutefois, la défaite des FAZ n'était pas due uniquement aux causes
énumérées ci-haut. Il y a eu plus grave : la trahison des
officiers hauts placés dans le Commandement militaire. En effet, des
commandants d'unités en opération recevaient des ordres de se
replier sans tirer un coup de feu sur les troupes ennemies qui se présentaient
devant. Le commandant en chef des opérations justifiait son ordre par
une " meilleure défense en profondeur ", une stratégie
typiquement zaïroise ! Le bombardement de la position défensive
de Poso (Province orientale) par nos propres pilotes d'avions de combat sur
l'ordre d'un officier général venait enfin confirmer que bon nombre
d'officiers généraux chargés de mener les opérations
étaient en intelligence le chef de l'AFDL.
MCN : Général, vous venez de faire une déclaration
très importante. Vous avez bien dit " trahison ". Etes-vous
convaincu et sûr de cette affirmation? Ne pensez-vous pas que certaines
gens peuvent vous prendre aux mots et considérer cette déclaration
mensongère ?
G.M. : La vérité blesse, je l'ai dit ci-haut. En outre,
rien que pour la mémoire des milliers de soldats et officiers zaïrois
qui sont morts sur le champ de bataille, il me paraît malsain de faire
une fausse déclaration. Ces hommes sont morts pour une cause juste :
la défense du pays. Donc, la vérité doit être connue.
Si je dis qu'il y a eu des officiers qui ont trahi, je ne dis que la vérité.
Pour la petite histoire, j'ai été aussi souvent désigné,
par les frères d'armes sous le sobriquet, " mulangi ya pembe "
qui veut dire, bouteille blanche c.-à-d. l'homme qui ne dit que la vérité
et la vérité crue. En ce qui concerne la trahison de ces officiers,
le chef de file fut le Chef d'Etat-Major Général des FAZ. Le Ministre
de la Défense Nationale, le Commandant de la Garde Civile et le Commandant
de la DSP avaient présenté au Maréchal Mobutu des documents
preuve de complicité et d'intelligence de cet officier avec le chef de
l'AFDL.
Un fait m'a laissé pantois, et je n'avais pas d'explication en ce moment-là.
En effet lorsque les villes de Kisangani et de Kindu sont tombées aux
mains des rebelles, j'ai élaboré le plan de défense de
la ville de Kinshasa. L'objectif ne visait pas la défense proprement
dite de la ville, mais de retarder l'ennemi afin de négocier la reddition
des FAZ. Pour le commun des mortels, l'opération peut sembler bizarre
mais des situations semblables sont légions dans l'histoire de l'art
militaire et de la guerre. Pensez au grand généralisme sudiste
Lee qui, vainqueur à Richmond (1862) et malgré l'armada qu'il
disposait encore a capitulé à Appomattox (1865), pendant la guerre
de Sécession. Quand un conflit oppose deux nations ou des coalitions,
l'objectif premier des belligérants est de gagner la guerre ; mais il
arrive souvent que le commandant d'un théâtre d'opération
qui a une vue d'ensemble et lointaine de la situation opérationnelle
ordonne la capitulation pour épargner la vie de ses hommes.
Après les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki par les Américains,
l'Empereur nippon a capitulé pour mettre un terme à l'hécatombe
aux vues de l'holocauste causée par les deux premières et uniques
bombes atomiques utilisées pendant la seconde guerre mondiale. Certains
commandants, pour mémoire citons Erwin Rommel, ont combattu dans les
guerres qui ont été perdues parce que leurs pays ont manqué
une conduite politique efficace,ou les ressources économiques et industrielles.
D'autres ont bien mené leurs troupes, mais ils ont perdu la guerre. Dans
quel cas peut-on mettre les commandants zaïrois ? Ni dans un cas ni dans
l'autre. Arrêtons-nous là au risque de nous lancer dans des polémiques
"zaïro-congolaises". Bref, le plan de défense de la Capitale
fut donc remis au Chef Etat-major Général des FAZ lors d'une réunion
tenue au Ministère de la Défense Nationale le 16 mars 1996 à
01 heure 30 minutes du matin en vue de l'OG (réunion d'Etat-Major pour
les opérations) prévue à 07 heures. Le numéro un
des FAZ s'est présenté le matin à l'OG sans plan, feignant
ignorer où il aurait déposé ce document classé "top
secret". Plus tard, j'apprendrai que le plan avait été transmis
nuitamment aux troupes de l'AFDL. La suite des événements le confirmera.
Ainsi, lorsque le Chef d'Etat-major Général est assassiné
le 16 mai 1997, ses bourreaux, les militaires de la DSP, se sont rendu chez
moi pour me tuer également parce qu'ils avaient déduit que moi
aussi je faisais partie du groupe d'officiers traîtres, alors que j'ignorais
tout.
MCN : A propos du Général Mahele, qu'en savez-vous des circonstances
de sa mort ?
G.M. : En principe, à cette question, je ne suis pas à mesure
de vous répondre pour la simple raison que je me trouvais en dehors du
territoire national, sur la voie de l'exil. J'ai eu cependant l'occasion de
rencontrer un officier supérieur, commandant de la DSP, qui m'a donné
la version que je me permets de vous dire avec mes mots.
" Les carottes " étaient déjà cuites depuis le
déclenchement des hostilités, plus d'espoir pour les FAZ. Les
troupes de l'AFDL sont aux portes de la Capitale et s'apprêtent à
investir la ville. En ce 16 mai 1997, dans l'après-midi, le Premier Ministre
du dernier Gouvernement du Maréchal Mobutu apprend que les militaires
de la DSP sont décidés à mettre à feu et à
sang la ville de Kinshasa. Il cherche le Ministre de la Défense Nationale
et Chef Etat-major Général des FAZ, le général Mahele.
Ce dernier se trouve à Brazzaville en République du Congo, en
route pour aller rencontrer M. Laurent-Désiré Kabila à
Lusaka (Zambie). Il le contacte par téléphone portable et l'informe
de la menace qui pèse sur la ville. La situation est très critique
et le général Mahele décide de regagner Kinshasa pour calmer
les militaires. Le général Mahele traverse donc le fleuve et se
rend immédiatement au camp Tshatshi, la caserne de la DSP. Le commandant
en second de la DSP rassemble les militaires et les présente au Ministre
de la Défense Nationale et au Chef Etat-major Général des
FAZ. A peine ce dernier a-t-il prononcé quelques mots pour apaiser les
esprits surchauffés que dans les rangs, les militaires se sont mis à
crier (en lingala) : "traître, traître, tu as trahi le pays,
tu ne sortiras vivant de ce camp". Le commandant en second a essayé
par tous les moyens de calmer la situation, en tentant de persuader les militaires
que Mahele était encore notre chef et qu'il fallait le laisser partir.
Il avait encore un rôle. Les militaires n'ont pas obtempéré
aux injonctions de leur commandant. Et quand le général Mahele
est monté dans sa jeep pour sortir, une voix s'est levé et a demandé
aux soldats de garde de fermer la barrière. Quand Mahele s'est présenté
à la barrière, il a supplié les militaires de l'ouvrir,
mais un autre militaire a crié : "bobeta ye masasi" (tirer
sur lui). C'est ainsi que plusieurs militaires ont tiré sur la jeep.
Ils ont atteint l'officier d'ordonnance du Général et le chauffeur
qui sont morts sur le coup. Le général Mahele, blessé,
a eu le courage et la force de glisser sous la jeep. Comme les militaires étaient
déterminés à le tuer, ils se sont approchés du véhicule.
Le premier qui regarde l'intérieur de la jeep constate qu'il n'y a que
deux corps inertes. Il se retourne et dit à ses compagnons : " cet
homme, comme il est reconnu, a des fétiches. Il n'est pas mort. Il a
disparu ! " Dans les rangs, un autre déclare que cela n'était
pas possible et intime l'ordre à son compagnon de regarder en dessous
de la jeep. En jetant un coup d'il en dessous de la jeep, il s'écrie,
effectivement, il est caché sous la jeep. C'est alors qu'il sera achevé
avec des coups de pistolet GP 9 mm. La panique s'installe dans la ville, le
fils du Maréchal Mobutu, le capitaine Kongolu, est informé à
l'entrée du camp de la mort du Général. Kongolu revenait
au camp parce qu'ayant appris que le général Mahele s'y rendait.
Ainsi il demande au Premier Ministre de prendre les dispositions nécessaires
pour se sauver des griffes des militaires de la DSP, qui déchaînés,
se sont mis à courir vers les maisons des officiers accusés de
trahison.
Voilà, dans quelles circonstances le général Mahele est
mort. Mais toute la vraie vérité sera connue quand les auteurs
délieront leur langue.
MCN : Quelle vision avez-vous pour la future armée congolaise ?
G.M. : Aucune. Cela vous étonne et doit vous surprendre. Et pourtant,
c'est la réalité. La force d'une armée, sa puissance, ne
sont ni déterminés ni fixées par les militaires. C'est
une option politique qu'un Etat doit lever. Vous connaissez l'histoire de l'Allemagne.
Cette grande puissance européenne n'a pas eu de grandes colonies en Afrique
et ailleurs. Pourquoi ? Principalement parce que le Kaiser, le chancelier Bismarck,
avait opté pour une Allemagne militaire forte sur le théâtre
européen. C'est donc l'autorité politique de la nation qui doit
décider de la forme et de la puissance de son armée. Le militaire
joue le rôle de conseiller auprès de l'autorité politique.
Pour la République Démocratique du Congo, notre beau et cher pays,
il y a d'abord une nécessité absolue d'avoir un Etat au sens premier
du terme. Il est superflu de donner des explications. La RDC, comme tous les
autres pays africains qui vivent la hantise des insurrections, mérite
une armée digne de ce nom. Tout est à refaire. Dans la situation
actuelle, il n'y a pas d'armée en République Démocratique
du Congo. Les composantes classiques d'une armée sont la force terrestre,
la force aérienne, la force navale ou la marine, la gendarmerie et la
police, les forces spéciales (la Légion d'honneur en France, les
Marines aux USA, etc.).
Laquelle de ces composantes existent en RDC ? Aucune ! Voilà pourquoi
je dis qu'il n'y a pas d'armée en RDC. A la naissance de l'Etat indépendant
du Congo, le Roi-Souverain, Léopold II, roi des belges, avait pris soins
de recruter les soldats pour les expéditions, les campagnes arabes et
pour le maintien de l'ordre dans son nouveau territoire. Le coût élevé
et exorbitant d'une armée des mercenaires l'avait obligé à
créer la Force Publique. Et pour ce faire, il avait fait fonder des colonies
scolaires qui étaient une sorte de pépinière où
les futurs soldats de la Force Publique étaient instruits et initiés
au métier des armes. Ce n'est que plus tard que les centres d'instruction
ont poussé à travers le Congo afin de parer au plus pressé,
c'est-à-dire chasser les négriers qui continuaient l'esclavagisme
banni et dénoncé par la communauté Internationale.
MCN : Mais depuis quelques temps et avec l'aide de la Communauté
internationale nous assistons à des efforts non négligeables d'unification
de l'armée en vue d'une armée digne de ce nom. Ne faut-il pas
justement soutenir les initiatives qui vont dans ce sens ?
G.M. : Certainement Il y a apparemment des choses qui se font. Mais
est-ce que le chef d'Etat-major général a un réel pouvoir
sur tous les militaires de la FARDC. Les responsables politiques lui laissent-ils
les mains libres. C'est de cela que je parle et c'est là le problème
! Le problème est avant tout politique !
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