Politique
Après une âpre discussion entre la majorité présidentielle, l’opposition et la société civile, sous l’égide des évêques congolais, un accord a été conclu le 31 décembre 2016, fixant la tenue des trois scrutins en décembre 2018. À ce sujet, Corneille Nangaa, le président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), a accordé mardi passé une interview exclusive à Cathobel/Dimanche, le site de l'église catholique en Belgique, dans laquelle il revient sur le processus électoral, la machine à voter et insiste notamment sur la tenue des élections cette année car il entend bien « donner au peuple congolais ses troisièmes élections en 53 ans d’indépendance.»
Cathobel: Pouvez-vous garantir que les élections auront bien lieu le 23 décembre 2018 ?
Corneille Nangaa: Cette date procède d’une décision de la CENI, portant publication du calendrier électoral qui a fixé un certain nombre d’échéances, dont les plus importantes sont la convocation de l’électorat le 23 juin et la tenue des trois scrutins, conformément à l’Accord de la Saint-Sylvestre, le 23 décembre. Nous sommes heureux de constater que jusqu’ici toutes les dates de ce calendrier sont respectées.
Nous avons d’abord commencé par régler les préalables aux élections, dont le plus important était bien évidemment l’inscription des Congolais sur les listes pour avoir un fichier électoral complet. Un travail de titan a été abattu depuis juillet 2016 jusqu’au 31 janvier 2018, date à laquelle nous avions inscrit près de 46 millions de votants. Grâce à un logiciel spécifique, nos équipes ont nettoyé le fichier en 37 jours. Je peux donc affirmer que nous avons aujourd’hui un fichier fiable de 40,3 millions d’électeurs. Après le dépôt des candidatures, nous procéderons au déploiement du matériel, au recrutement et à la formation des quelque 650.000 agents.
La campagne électorale commencera le 20 novembre pour se terminer le 21 décembre. Je peux affirmer que les Congolais fêteront Noël en connaissant le résultat des élections.
Le magazine « Jeune Afrique » a écrit que l’électeur n’aurait qu’une minute environ pour voter. Est-ce vrai ?
Vous avez testé la machine à voter. Vous avez constaté que le vote est rapide. « Jeune Afrique » ne l’a jamais vue mais en parle quand même. C’est une campagne de sape pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les élections. Nous souhaitons que les journalistes qui écrivent sur cette machine l’expérimentent d’abord. Il y a hélas du mensonge. Nous apprenons par ces mêmes médias que la commission électorale sud-coréenne nous aurait écrit pour dire que la machine n’est pas fiable. Je n’ai jamais reçu ni vu un tel courrier.
La vérité est que l’entreprise sud-coréenne retenue fournit le matériel à la commission électorale de son pays. Elle a aussi déployé des machines dans d’autres pays. Mais quand il s’agit de la RDC, cela pose problème.
Que dites-vous à ceux qui affirment que c’est une machine à tricher ?
C’est leur opinion. Je la respecte. Nous sommes en démocratie. Je suis un expert en élections et sais donc de quoi je parle. Ce que nous proposons est ce que nous trouvons de mieux pour le pays. Bien sûr, rien ne se fait dans ce processus sans que ce soit contesté par l’une ou l’autre partie. Mais là n’est pas le problème.
Depuis février, nous avons lancé un programme national d’éducation et de sensibilisation, pour apprendre aux Congolais comment cela va se passer. La CENI a prévenu: s’il s’avérait qu’on ne veut pas de machines à voter, il est certain que les élections seront reportées de quelques mois. Je ne sais pas qui est prêt à assumer cette décision. En tout cas, pas la CENI.
Est-ce un vote électronique ?
Ce n’est pas un vote électronique qui suppose une dématérialisation du bulletin de vote. Le vote se fait sur un bulletin papier. La machine n’est qu’un appareil pour imprimer in situ le bulletin par l’électeur lui-même, qui le glissera ensuite dans l’urne. Le comptage se fait manuellement comme ça a toujours été le cas, avec l’avantage qu’après, nous avons d’autres sources de vérification pour savoir par exemple, combien de bulletins ont été imprimés.
La RDC est-elle réellement en mesure de financer elle-même ces élections ?
C’est une question à poser au gouvernement. La question du financement extérieur doit être analysée dans son contexte. Depuis 2013, nous sommes habitués à entendre que la communauté internationale peut financer les élections. Mais c’est toujours sous conditions. Si le gouvernement de la RDC s’engage à financer seul, ce n’est pas une mauvaise décision.
Un financement de 125 millions de dollars US avait été prévu par les bailleurs. J’ai été surpris d’apprendre que ce financement était plutôt de 35 millions et qu’en même temps les bailleurs ont financé des ONG pour plus de 185 millions au nom du processus électoral. C’est quand même curieux...
Entre-temps, il faut reconnaître que l’appui international a été multiforme, notamment dans le financement de l’assistance technique. Nous bénéficions de l’apport de 52 experts internationaux issus de la Monusco, du PNUD et de l’Union européenne.
Certains affirment que la CENI est manipulée. Que leur répondez-vous ?
Que la CENI est une structure indépendante appelée à collaborer avec toutes les institutions. Ce que nous faisons. Sans collaboration avec les deux chambres du Parlement, nous n’aurions pas de loi organisant les scrutins. Sans collaboration avec le gouvernement, nous n’aurons pas le financement nécessaire. Sans collaboration avec la société civile, les fournisseurs et l’opposition, nous n’aurons pas les moyens d’aller aux élections. On peut appeler cela de la manipulation, mais c’est faux. La vérité est que le 23 décembre, nous tiendrons ces élections grâce justement à ces collaborations. Ma question est de savoir si les acteurs sont vraiment prêts, quand je vois le comportement des uns et des autres. Mais le peuple congolais attend ces élections.
Il subsiste des zones d’insécurité, au Kasaï et au Nord-Kivu notamment. Pourrez-vous y organiser le scrutin ?
Aujourd’hui, la situation est stabilisée au Kasaï. La preuve en est que nous avons pu y enrôler les électeurs. La situation est en phase de stabilisation en Ituri. Seule l’agitation au Nord-Kivu peut effectivement engendrer des préoccupations.
Votre mandat s’achève en juin 2019. Votre rêve est de partir mission accomplie ?
Mon rêve est de donner au peuple congolais ses troisièmes élections en 53 ans d’indépendance. Nous avons eu quatre présidents et aucun n’a pris le pouvoir après une « remise-reprise ». Si les élections sont bien organisées, le peuple congolais aura cette chance. Il ne faut pas lui faire rater cette opportunité.
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