Pour zhang xinyang, mathématicien prodige chinois, "ne rien faire est la clé du bonheur"

Un jeune Chinois, prodige célébré, proclamait toute sa foi dans le travail et l’ascension sociale. Mais aujourd’hui, âgé de 28 ans, il marque les esprits, en s'étant détourné de cette voie. Zhang Xinyang demeurera dans l’histoire éducative de son pays comme le plus jeune doctorant en mathématiques, accédant à l’université à 10 ans, et six années plus tard, à l'âge où l'on commence éventuellement à songer à ses études, lui rédigeait sa thèse de doctorat dans un établissement de prestige de Pékin.

Forcément, cette précocité inouïe avait suscité un intérêt politico-médiatique, d'autant plus que son extraction sociale modeste et son propos déterminé pouvaient encore avoir valeur d’exemplarité. En 2011, interrogé par la télévision d’Etat, le prodige livrait un idéal de succès: l'achat d'un appartement, un "bon" emploi et l'obtention d'un permis de résidence dans la capitale, lui qui est issu d’une petite ville d’une province voisine de la Corée du Nord.

La clé du bonheur

Le récit symbolique a pris une tout autre tournure. Maintenant âgé de 28 ans, le mathématicien supposément génial venu du Liaoning, après avoir abandonné son poste de chargé de cours à la faculté, n’a plus de travail à temps plein, vit dans un logement loué par sa famille et ne dispose plus que d’une très maigre épargne sur son compte bancaire.

Surtout, il proclame que "s’asseoir et ne rien faire est la clé du bonheur de la vie". La notion de l’effort personnel pour espérer s’enrichir lui est, à présent, manifestement étrangère… Lorsqu’il fréquentait, si jeune, les bancs de l’université, Zhang Xinyang avait eu cette phrase qui interpelle encore aujourd’hui l’opinion publique chinoise: "Avoir de l’argent ne signifie pas nécessairement que vous avez de la qualité, mais ne pas avoir d’argent ne signifie certainement pas que vous ayez de la qualité."

Une douzaine d’années plus tard, il s’en remet presque entièrement à son père et à sa mère pour sa subsistance. "Je peux vivre sans travailler pour le reste de ma vie. Non seulement je peux compter sur mes parents, mais aussi sur les parents de mes parents et sur les parents des parents de mes parents", insiste-t-il auprès de Jiupai. Le prodige épuisé reproche toujours aux siens de ne pas lui avoir acheté le logement à Pékin tant promis au terme du sacrifice de son adolescence.

S'allonger à plat

En quoi ce cas extrêmement singulier s'inscrit-il dans un courant de pensée et de vie de la Chine contemporaine? Son discours à la fois de lâcher-prise et de reproche, certes poussé très loin, entre en résonance avec celui d’une certaine jeunesse chinoise ordinaire, qui lie indéfiniment son existence à celle de son ascendance. La difficulté croissante à trouver un travail stable conduit à un phénomène où des parents, parmi ceux qui le peuvent, salarient leur enfant de 25 voire 30 ans qui reste à la maison. Bien entendu, il reste à en mesurer l’ampleur exacte, en fonction de critères statistiques rigoureux.

La tendance ne semble pas résider que dans des constructions médiatiques. L’expression virale #tangping - "s’allonger à plat", "rester couché", surgie il y a deux ans, s’est imposée au-delà des frontières de la Chine. Invoquer une philosophie de vie sans aspiration, ni revendication, de rejet même du concept de travail, s’est transformé en une contre-culture face au projet national de hisser la Chine au sommet... A tout le moins, au sein d'une partie de la jeunesse urbaine chinoise.

Les commentaires en ligne semblent contrastés autour de l’histoire du prodige déçu qui prône de ne plus bouger, entre ceux qui affirment si bien le comprendre et ceux qui attribuent sa posture aux dérives des exigences de la famille et de la société. Dans un contexte pour une partie de la jeunesse où la politique de l'Etat-parti dite de "prospérité commune" s’est enrayée, où l’espoir d’acquérir un jour un logement s’est évanoui.

Méritocratie

A cet égard, dans un article publié en avril dernier à Shanghai de remise en question de la "méritocratie" nationale, Li Zhonglu, professeur de sociologie de l'Université du Shandong, explique que "les enfants de la classe moyenne supérieure partagent la foi élevée de leurs parents en cette notion, quand ceux qui appartiennent aux couches sociales inférieures pensent qu'ils n'ont plus le pouvoir de changer leur destin". D’où un refus ostentatoire de la primauté de l'essor économique.

Ce n’est pas pour autant que l'ensemble de la Chine en devenir a rendu les armes. En 2021 déjà, lorsqu'a éclos le mot d'ordre du "tangping", Li Fengliang, enseignant à Tsinghua, établissement d’élite à Pékin par excellence, estimait que ce sont "des centaines de millions de contribuables" qui ont à subir cette inactivité portée en bandoulière. "La mobilité sociale par la compétition est restée possible", assurait-il. Zhang Xinyang, lui, n'y croit plus.