Plan de crise sécuritaire à l'est de la RDC : Kamerhe est-il allé trop loin ?

Après une tournée de près de 3 semaines, soit du 12 au 28 septembre 2022, Vital Kamerhe s’est finalement fendu de son plan de sortie de crise sécuritaire qui sévit dans la partie Est de la RDC.

Vendredi 7 octobre 2022 à Kinshasa, son parti politique, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), a rendu public un communiqué signé de son directeur de la communication livrant le fin mot de la «solution Kamerhe» pour le retour de la paix, qui aurait dû être présentée aux populations visitées au cours de la tournée dénommée Amani mais qui ne l’a pas été pour ne pas braquer les esprits survoltés par la crise sécuritaire qui sévit dans les zones visitées.

La solution Kamerhe pour le rétablissement de la paix à l’Est de la RDC réside dans un dialogue ‘‘sans tabous’’ entre les pays impliqués dans le conflit qui sévit à l’Est : la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. «Ils forment le triangle au centre duquel se trouve le M23, l’œil du cyclone», selon le communiqué de l’UNC qui indique également que Vital Kamerhe en appelle à la cohabitation pacifique entre les communautés et au bannissement de la xénophobie et du tribalisme afin de favoriser une paix durable. De même qu’il demande au M23 de déposer les armes, tout en exhortant la RDC à la cohabitation pacifique avec tous ses voisins et rappelle le respect de la souveraineté des Etats.

Le texte renseigne par ailleurs que le plan Kamerhe pour une sortie de crise sécuritaire de l’Est de la RDC a bénéficié d’échanges avec certaines personnalités politiques, notamment la Représentante du secrétaire générale des Nations-Unies, Bintou Keïta, l’ancien président Nigérian Olusegun Obasanjo, des diplomates accrédités en RDC, des leaders du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri lors de sa tournée. De même qu’il fait l’objet de réactions positives du Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, de la tripartite qui a réuni les chefs d’Etat français, congolais et rwandais en marge de le dernière assemblée générale de l’ONU, du président chinois qui appelé le M23 à déposer les armes et à dialoguer.

Adhésion populaire mitigée

De même qu’il souligne que du début à la fin de la tournée Amani, le plan Kamerhe a recueilli l’adhésion populaire manifestée par un engouement exceptionnel des populations venues écouter le patron de l’UNC. Même si, selon plusieurs observateurs, l’évocation d’échanges préalables avec les Nations-Unies et des diplomates paraît plutôt de nature à persuader l’opinion de l’inéluctabilité d’un plan de sortie déjà avalisé par les grands de ce monde, plutôt que de sa pertinence intrinsèque. «Tout se passe comme si Vital Kamerhe était incertain quant à la réaction de l’opinion sur son plan de sortie de crise et le renforce en évoquant la consultation préalable des décideurs de la planète», selon Sylvain Langa, finaliste en RI à l’Université de Kinshasa.

L’adhésion des populations des territoires de l’Est parcourus par Vital Kamehre, semble, elle aussi, plus qu’incertaine. Certes, des foules nombreuses se sont déplacées pour voir et entendre le patron de l’UNC qui compte parmi les leaders politiques de cette partie du pays. «Mais aucun indicateur sérieux n’atteste de leur adhésion à un discours appelant à pactiser avec les bourreaux rwandais et ougandais», explique au Maximum Serge Amisi, cadre dans une entreprise de négoce basée à Kisangani.

Au chef-lieu de la Tshopo où l’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi a drainé une foule immense Place de la poste, le siège de l’UNC aurait été saccagé au lendemain du meeting par des jeunes mécontents de n’avoir pas reçu les ‘‘frais’’ attendus de leur participation, rapportent des témoins sur les réseaux sociaux. «Ce qui est loin d’être un signe d’adhésion au discours de VK», fait observer Amisi.

Il n’a jamais osé le dire

En réalité, des témoignages concordants indiquent qu’à Goma, Kanyabayonga, Rutshuru, Bukavu, Mwenga, Kindu, Kisangani … le patron de l’UNC n’a quasiment pas développé l’intégralité des axes de son plan de sortie de crise pour l’Est du pays. Vital Kamerhe a, certes, exhorté les populations à la cohabitation pacifique, indiqué que la solution définitive à la crise résidait également dans la résolution des problèmes sociaux et économiques de la région, exhorté le M23 à déposer les armes.

Tout au long de son parcours, peu l’ont entendu parler de la nécessité d’un nouveau dialogue avec Kigali et Kampala. «Il n’a jamais osé le dire», assure J. Kambale, un étudiant présent au meeting du stade Afya de Goma le 12 septembre dernier.

Ce n’est donc qu’à partir de Kinshasa que celui que ses partisans surnomment «Mwalimu», a déballé son sac, provoquant de nombreuses réactions de rejet, à en juger par des témoignages dans la région et sur les réseaux sociaux. Tout indique qu’il ne fait bon s’appeler Vital Kamerhe depuis quelques jours.

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, le député élu de Butembo et Crispin Mbindule Mitono, semble avoir été le premier à dégainer contre la proposition de son ancien mentor. Cet ancien de l’UNC dénonce en effet ce qu’il présente comme une nouvelle tentative de permettre l’infiltration des rebelles dans les rangs des FARDC et relève l’inopportunité d’un dialogue de plus avec le Rwanda. «Kamerhe avait offert plus de 100 vaches à Kabarebe (i.e. James Kabarebe, chef d’état-major des RDF). Quel est le résultat ?», s’interroge-t-il.

Sur Top Congo FM, le journaliste Thierry Kambundi s’est, pour sa part, prudemment interrogé sur ce qu’il convient de dire ou de faire de plus dans un nouveau dialogue avec Kigali et Kampala, après les offres de Félix Tshisekedi consistant au raffinement de l’or produit en RDC au Rwanda et à celle de l’exploitation des axes routiers de la RDC en bilatéral avec l’Ouganda. La vidéo présentant le célèbre journaliste s’interrogeant sur le sujet était quasiment devenue virale sur les réseaux sociaux, mercredi 12 octobre 2022.

Les désaveux se sont multipliés depuis le 7 octobre, les mots pour les exprimer se révélant de plus en plus durs. Comme ces propos de R. Washe, professeur à l’Institut supérieur d’Architecture et d’Urbanisme à Kinshasa, qui assure le 11 septembre sur son compte Twitter que «nous avons compris la différence entre Bahati et Kamerhe. La résistance versus la compromission. Désigné pacificateur pour avoir infiltré notre système politique, le voilà prêt à récidiver ». Ou encore MCS Lionnel qui se fend d’un long thread qui ressasse les déclarations de Vital Kamerhe dénonçant l’agression rwandaise depuis 2003, images à l’appui, le même 11 octobre :

«Tantôt vous êtes auprès du peuple, tantôt avec ceux qui les massacrent, des criminels que vous appelez, comme toujours amis. Union pour la nation congolaise ? Laquelle? Puisqu’aucun Congolais jouissant de ses facultés mentales ne pourra dire avec certitude pour qui vous luttez», écrit-il avec rage dans un de ses tweets.

Avalanche de réactions

Un jour auparavant, le 10 octobre 2022, Christian Nyamabo, un internaute très actif sur Twitter, écrivait que «l’UNC s’est décidée de faire du service après-vente de Kagame en forçant l’idée d’un dialogue de plus et pour rien ; malgré 25 ans d’agression que subit la RDC. Dites à VK et Kagame que les Congolais ne veulent plus des dialogues servant de prolongation au M23».

Cette réaction sur Twitter intervenant peu après que sur son compte, le mouvement terroriste eut posté un message affirmant que «Notre combat reste la résolution des causes profondes des conflits qui durent depuis des décennies. La course aux postes, grades et biens relève des intérêts individuels qui ne font pas partie de notre sacrifice. Relever ce défi est le meilleur moyen de désarmer définitivement le M23».

De l’huile sur le feu

Le même jour, Juvénal Munubo, député UNC de Walikale a cru voler au secours de son mentor en dénonçant le manque de sincérité de la partie congolaise dans toutes les négociations avec le Rwanda. Il n’a fait que jeter de l’huile sur le feu déjà allumé par le communiqué du 7 octobre. Une salve de réactions indignées s’en est suivie, dont celle du très pondéré diplomate congolais Christian Atoki Ileka qui se demande ce que veut dire «dialogue sincère» et quelles en sont les implications dans l’entendement de Munubo.

Le député UNC, membre de la commission Défense et sécurité à l’Assemblée nationale a tenté de se rattraper en déclarant que «côté rwandais, c’est évident qu’il n’y a jamais eu sincérité. Côté congolais également, dans une certaine mesure. S’il y avait clairement sincérité côté congolais, nous saurions déjà quoi faire : la guerre contre le Rwanda ou le dialogue sincère devant témoins ou les deux».

Mais rien n’y a fait. Jean-Pierre Kambila, ancien directeur de cabinet adjoint du cabinet présidentiel sous Joseph Kabila s’est résolu à rétorquer un jour plus tard :

«Cher frère, avec le Rwanda nous ne sommes plus au niveau de la ‘‘sincérité’’, des témoins, ou autres négociations. Les spécialités peuvent compter le nombre de tentatives infructueuses. La RDC doit seulement se défendre et pour ça, il faut des sacrifices. Hier comme aujourd’hui, la position de la RDC a toujours été claire : le Rwanda doit quitter notre pays et cesser de le piller. Aujourd’hui, il faut faire l’unité derrière le chef de l’Etat et gagner la guerre qui est déjà là», a-t-il répliqué.

En embouchant imprudemment la trompette de la négociation avec Kigali et Kampala, Vital Kamerhe en aura peut-être trop fait, cette fois-ci. Peut-être la barre à ne pas franchir dans ce pays traumatisé.